Depuis plus de quinze ans, l’artiste et photographe franco-algérien Mohamed Bourouissa interroge, par une multitude d’expressions artistiques, notre société, ses mécanismes et ses inégalités. Le Palais de Tokyo lui consacre une exposition rétrospective, une première en France dans une institution nationale. Cet article, signé Michaël Naulin, est à retrouver en intégralité dans notre dernier numéro.
Sweat-shirt noir à capuche tâché de peinture et cigarette à la bouche, Mohamed Bourouissa nous accueille dans son atelier de Gennevilliers sous le bruit de la ponceuse. Sa petite équipe finalise l’exposition Signal au Palais de Tokyo, rassemblant quinze ans de ses travaux. Pas vraiment une rétrospective, plutôt une démonstration de la « méthode Bourouissa », où l’œuvre n’est jamais totalement finie mais se transforme avec le temps et les projets.
Dans son bureau, son « bordel », une toile jonche le sol, la peinture a un peu éclaboussé les murs, les plans de la prochaine exposition sont étalés sur les parois du contreplaqué. « C’est à l’image de mon cerveau, chaotique », plaisante-t-il. Dans un coin de ce bazar organisé, une exception : la bibliothèque et ses livres bien rangés. On y trouve les influences de Mohamed Bourouissa, ses inspirations, ses « obsessions ». Des entretiens avec Henri Cartier-Bresson côtoient La Prochaine fois, le feu de l’artiste franco-sénégalais Alexandre Diop. Un peu plus bas, le recueil Artistes africains : de 1882 à aujourd’hui précède L’Art urbain édité par le Palais de Tokyo ou encore New Waves de Marta Gnyp, regroupant des entretiens avec les grands noms de l’art contemporain, dont lui-même.
Le plasticien franco-algérien refuse les frontières, ne veut pas être classé, catalogué, étiqueté. Éduqué par le dessin, la culture rap et le graffiti, il est peintre, photographe, vidéaste, sculpteur, metteur en scène, musicien… Pas avare de punchlines, l’esprit vif, il se défend de vouloir « cocher toutes les cases » de la création artistique. Lui cherche avant tout l’expérience et le partage. Sa carrière artistique ? « Elle a commencé quand j’avais 6 ans ». Né à Blida, en Algérie, en 1978, puis arrivé en France enfant, Mohamed Bourouissa se rêve déjà peintre. Nourri aux mangas et aux comics, il découvre dans le dessin un moyen d’expression et d’échange, d’abord avec ses amis de Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine. Ce sera ensuite sur les murs, à coups de graff, sous le pseudo de Meko, avec son crew EP4. Quand il en parle, c’est avec un grand sourire et les yeux qui brillent. « Le crew existe encore, c’est incroyable ! J’ai retrouvé un graff d’EP4 près de chez moi, ça m’a fait rire », s’amuse-t-il.
Images en tension
Entre les bancs de Paris-I Sorbonne et des Arts déco, il croise rapidement la route de la photographie. Resurgissent les souvenirs d’enfance d’une tante « qui adorait prendre tout le temps des photos » et des heures passées le nez fourré dans « des sacs entiers de photographies de famille ». « En venant du dessin et de la peinture, la photographie amenait cette dimension instantanée », décrit-il. Mais le vrai déclic vient d’une amie, Anoushkashoot. Elle lui fait découvrir le travail du photographe américain Jamel Shabazz. Témoin d’une époque, d’un style du New York des années 1980, celui de Harlem et du Bronx, d’une identité des marges, d’une culture de la rue. Il devient le modèle, « la madeleine de Proust », de Bourouissa. « Shabazz montre les gens comme ils sont, dans leurs attitudes, dans leurs styles, dans leur identité, dans leur culture. » Même émotion devant les photos d’un August Sander ou d’une Diane Arbus. « Je retrouve chez eux cette rigueur dans la façon de faire poser les gens, de les mettre en scène dans une forme de dignité. »
La suite de cet article est à retrouver dans Fisheye #64.