Mort d’Erwin Olaf : l’héritage du célèbre photographe néerlandais

21 septembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Mort d’Erwin Olaf : l’héritage du célèbre photographe néerlandais
© Erwin Olaf
© Erwin Olaf

Mercredi 20 septembre 2023. Âgé de seulement 64 ans, Erwin Olaf nous quitte, suite à des complications d’une transplantation pulmonaire. Connu pour son travail dans la mode, comme pour ses mises en scène cinématographiques à l’esthétique marquée, il laisse derrière lui une œuvre riche, terreau d’inspiration pour les nouvelles générations de photographes.

Né aux Pays-Bas en 1959, Erwin Olaf a débuté sa carrière photographique dans les années 1980, documentant, à l’époque, le monde de la nuit. En près de 45 ans de carrière, il a développé un œil singulier, une esthétique à part, mêlant les influences picturales et les codes du monde de la mode, l’amour de la mise en scène et l’ode au corps, le fantastique et l’éloge des différences. Toujours désireux de donner à voir avec subtilité, de laisser son œuvre parler d’elle-même, le photographe nous confiait, en 2019 : « Je ne peux pas me livrer plus que cela, avant d’ajouter : j’ai toujours essayé d’être tolérant et ouvert aux autres. Ce que je préfère, c’est m’intéresser aux mentalités et aux tendances. » Secret, énigmatique, l’artiste laisse derrière lui un héritage impressionnant et indélébile. Figure incontournable du 8e art, ses travaux ont et ne cesseront d’influencer la création d’aujourd’hui et demain. Un héritage à retrouver sur les pages de Fisheye.

© Guoman Liao
© Tania Franco Klein

Des tableaux vivants

Une lumière dramatique, un ton velouté, des visages sculptés… Dans les portraits d’Erwin Olaf, les modèles deviennent des personnages peints par les lueurs, sublimés par l’objectif. Des tableaux vivants que le photographe parvenait à figer en un clic. « Le travail d’Olaf est profondément inspiré des traditions visuelles de l’art néerlandais », confie Taco Dibbits, directeur du Rijksmuseum. Et, à l’image des maîtres qu’il admirait, il faisait de ses clichés – pourtant si contemporains – des toiles délicates. Un goût pour le mélange des époques qui a inspiré Romina Ressia, dont l’amour pour la Renaissance italienne et l’art flamand la conduit, elle aussi, à imaginer des portraits burlesques aux nuances picturales, agrémentés de détails modernes. Fan incontesté de Vermeer – tout comme Erwin Olaf – Guoman Liao se nourrit quant à lui des créations néerlandaises comme des œuvres plus abstraites de Matisse ou Miró pour construire ses portraits. En résultent des œuvres aux tons sublimes, évoquant l’École hollandaise.

Ériger sa propre fiction

Mais plus qu’un hommage aux peintres des Pays-Bas, l’œuvre d’Erwin Olaf s’inspire également volontiers du 7e art. D’un pays à l’autre, l’auteur parvenait à encapsuler les symboles qui définissent un territoire et à y installer des personnages énigmatiques aux regards lointains. Une évolution naturelle dans la carrière d’un photographe désireux de construire des narrations complexes et nuancées, permettant aux spectateurices d’ériger leur propre fiction. Une voie suivie par de nombreuses femmes photographes présentes sur nos pages. Parmi elles, Kourtney Roy, connue pour ses créations ultra-esthétiques mettant en scène des sujets hauts en couleur, mais aussi Tania Franco Klein. Cette dernière, inspirée par l’errance dans des territoires étrangers, devient protagoniste de ses propres fantaisies et imagine des histoires passionnantes transcendées par une écriture affirmée et des accessoires d’un autre temps. Elsa & Johanna, enfin, ne cessent d’imaginer de nouvelles identités pour développer des contes immersifs où se croisent intimité et questionnements sociétaux.

Et puis, bercé·e par ces ambiances cinématographiques, on se surprend à ressentir, dans les créations d’Erwin Olaf, une sensation d’immobilité. Comme un arrêt fugace du temps, une action éphémère rendue éternelle grâce à l’œil brillant de son créateur. Comme une percée au cœur d’un film. C’est alors que l’étrange s’immisce dans le réel et fait fleurir notre imaginaire. Dans son sillage, Ole Marius Joergensen traduit les souvenirs flous de son enfance en images dramatiques convoquant l’Amérique d’Edward Hopper. Un voyage lynchéen dans une nature étrange où l’obscurité ne cesse de s’étirer. Mária Švarbová, quant à elle, multiplie les corps, fige les actions, joue avec les répétitions et arrête le temps, pour explorer les notions de coordinations et d’unité. Un travail à l’esthétique très travaillée inspirée directement des expérimentations d’Erwin Olaf.

© Michael Young

Un corps masculin captivant

Au-delà d’une simple recherche esthétique, l’œuvre d’Erwin Olaf est également source d’inspiration pour l’art queer. « Il a été une figure clé de l’histoire, pour son activisme et son rôle au sein de la communauté LGBTQIA+ », précise même Taco Dibbits. Corps nus, musculatures travaillées, érotisme épuré… Si le photographe aimait capturer la diversité des silhouettes, donner à voir la beauté de la diversité, la sensualité avec laquelle il présentait le corps masculin demeure marquante, captivante. Resplendissants, ses modèles incarnaient une sorte de virilité parfaite aujourd’hui réutilisée – et déconstruite – par les auteurices de la communauté. Dans des collages révélant les figures érotiques de magazines gays vintage, Michael Young et Pacifico Silano s’inspirent, eux aussi, de cette nudité pour donner à l’art queer une plus grande visibilité. Damien Blottière, quant à lui, déplace l’art du collage dans le monde contemporain en réalisant des œuvres aux frontières de la performance, rappelant ainsi que « le corps est l’enveloppe de notre existence ». Une enveloppe qui obsède, révèle les préférences, marque l’écoulement du temps. Tout comme Erwin Olaf, il érige des nus hautement stylisés traduisant un besoin de révéler – dans son entièreté – la peau et ses nuances.

« Erwin Olaf voyait la beauté chez tout le monde (…). C’était un artiste possédant une grande détermination. Son souci du détail était inégalable », poursuit le directeur du Rijksmuseum. Figure de proue de la photographie du 21e siècle, le photographe laissera derrière lui une œuvre aux nombreuses ramifications, vouée à influencer – encore – un grand nombre de futur·es auteurices.

Et si vous souhaitez vous plonger une nouvelle fois dans son travail, l’exposition La beauté est un leurre, d’Erwin Olaf, présentée à Vichy, sur l’esplanade du lac d’Allier, est prolongée jusqu’au 29 octobre 2023.

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