Mystère et nostalgie : Annabelle Foucher et l’émotion qui nous révèle

15 mai 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Mystère et nostalgie : Annabelle Foucher et l’émotion qui nous révèle
Installée à Reims, Annabelle Foucher cherche à saisir le charme brut des fêlures au travers de compositions à l’aspect théâtral. Sur cette scène sophistiquée, mélancolie, simplicité et fragilité se font les protagonistes d’une histoire éphémère qui se décline avec délicatesse et poésie.

Dans des tirages imprégnés des mille nuances de la nostalgie, le regard se décline et laisse paraître des mondes hermétiques, pourtant teintés de pensées qui se trahissent. Un dessous abandonné sur un paravent de bois, des fleurs aux troubles contours, un peigne suspendu dans une chevelure d’ébène… Tous ces éléments adjacents suggèrent la présence d’un être évanoui. Le souvenir s’infuse alors dans une poésie du sensible et subsiste par fragments. « Je pense que la photo s’est peu à peu immiscée dans mon quotidien, car je crains l’oubli depuis toujours. J’ai vu mon arrière-grand-mère sombrer dans la démence et cela m’a marquée. J’ai peur d’oublier les gens qui ont compté, les bons souvenirs, mais également les émotions que suscitent en moi certains détails. En créant, je leur permets de vivre et de durer », explique Annabelle Foucher, qui signe ces compositions.

© Annabelle Foucher© Annabelle Foucher

De l’imprévu à l’alchimie

La photographe de mode de profession fait preuve d’une attention particulière lorsqu’il s’agit de révéler à l’image les passions qui animent ses modèles. À travers ce « travail d’équilibriste », qui oscille entre l’expression d’une muse et d’une artiste, Annabelle Foucher souhaite capter le regard et susciter l’étonnement. « Je cherche avant tout à transfigurer le quotidien, à donner une dimension insolite et originale à des choses banales ou conventionnelles. Je perçois souvent la beauté dans des éléments bruts, simples, et je veux la montrer aux autres, poursuit-elle. Cela demande inévitablement une mise en scène, et de réinterpréter à l’infini ce qui est déjà fait, déjà vu, à ma façon. Pour moi, la notion même du beau est liée aux contrastes et aux cassures, à la réunion des choses qui seraient a priori étrangères les unes aux autres. »

Tour à tour « dramaturge, metteuse en scène et accessoiriste », Annabelle Foucher aime à concevoir ses tableaux selon ses inspirations, laissant toujours place au hasard, à cet « effet de surprise » qui, à ses balbutiements, l’encourageait à expérimenter pour parfaire sa technique. Cet attrait pour l’imprévu et l’inexplicable, qui se distille dans chacune de ses œuvres, se rapporterait presque au mystère et à l’alchimie. « Il faudrait être magicienne pour être capable de refléter la complexité de chaque trait et de chaque personnalité aussi facilement. Avec le recul, il me plaît de savoir qu’il existe des âmes qui me sont inaccessibles », soutient notre interlocutrice.

© Annabelle Foucher© Annabelle Foucher

La conscience de l’éphémère

Dans le prolongement de cette dichotomie qu’elle affectionne tant, ses photographies s’ancrent toutefois dans le réel et renvoient au charme de l’enfance. Ce thème, redécouvert grâce à une rencontre fortuite avec la jeune Prune, qui fait partie de sa vie depuis maintenant deux ans, lui permet notamment de mieux explorer l’intelligible. En guise d’exemple, l’artiste évoque une série immortalisant la petite fille : « Elle venait d’avoir une nouvelle poule, et elle l’a mise sur sa tête, ce qui ne serait probablement jamais arrivé si mon sujet avait été une adulte. J’ai réussi à capter le moment où la poule s’est envolée, qui était pleine de poésie, mais aussi de mélancolie. La photo est la capture d’un instant bref, voué à disparaître, tout comme l’enfance qui n’est qu’une tranche de vie très précieuse. »

Si cet élan vers la nostalgie est au cœur des images d’Annabelle Foucher, c’est parce qu’il s’impose comme « la conscience que toute chose est éphémère » et témoigne de l’essence même de nos existences. « La tristesse est pour moi l’émotion qui révèle ce que nous sommes vraiment, car c’est la plus profonde, celle que nous pouvons traîner longtemps avec nous, qui nous construit, car elle est intimement liée au passé », souligne-t-elle.

© Annabelle Foucher© Annabelle Foucher
© Annabelle Foucher© Annabelle Foucher
© Annabelle Foucher© Annabelle Foucher
© Annabelle Foucher© Annabelle Foucher
© Annabelle Foucher© Annabelle Foucher
© Annabelle Foucher© Annabelle Foucher
© Annabelle Foucher© Annabelle Foucher

© Annabelle Foucher

© Annabelle Foucher

Explorez
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
© Kianuë Tran Kiêu
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
Kianuë Tran Kiêu fait de l’art un espace de connexion et de transmission où la vulnérabilité devient une force. Chaque projet est une...
24 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
© Nick Prideaux
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques...
14 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans les songes dionysiaques de Hui Choi
© Hui Choi. The Swan's Journey.
Dans les songes dionysiaques de Hui Choi
Le photographe chinois Hui Choi traduit les contradictions des émotions humaines en images empreintes de lyrisme. S’inspirant de la...
14 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
13 séries photo qui offrent une vision moins idyllique de l’amour
© Nolwen Michel
13 séries photo qui offrent une vision moins idyllique de l’amour
Si les relations amoureuses font rêver les plus romantiques d’entre nous, pour d’autres, elles évoquent des sentiments bien moins joyeux....
13 février 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l'œil de Lorène Durret : Marc Riboud et la guerre du Vietnam loin du front
Un dimanche après-midi au bord du Petit Lac à Hanoï, Nord Vietnam, 1969 © Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Dans l’œil de Lorène Durret : Marc Riboud et la guerre du Vietnam loin du front
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Lorène Durret, co-commissaire de l’exposition Marc Riboud – Photographies du Vietnam 1966-1976...
10 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #535 : Clara Vincent et Francesco Freddo
© Francesco Freddo
Les coups de cœur #535 : Clara Vincent et Francesco Freddo
Clara Vincent et Francesco Freddo, nous coups de cœur de la semaine, se sont tous·tes les deux plongé·es dans le médium photographique...
10 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 03.03.25 au 09.03.25 : affirmation de soi et curiosité
© Clémentine Balcaen
Les images de la semaine du 03.03.25 au 09.03.25 : affirmation de soi et curiosité
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye partagent des récits d’affirmation de soi. En parallèle, elles révèlent...
09 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
3 questions à Rob Woodcox et Marie Thibouméry : le pouvoir de l'union des femmes
Naissance d'une Marée © Marie Thiboumery et Rob Woodcox
3 questions à Rob Woodcox et Marie Thibouméry : le pouvoir de l’union des femmes
En découvrant General Prim, un lieu de culture alternatif à Mexico, le photographe américain Rob Woodcox et la directrice artistique...
08 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger