Of Fire, Far Shining : l’effroi, vu par J.A. Young

05 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Of Fire, Far Shining : l’effroi, vu par J.A. Young
© J.A. Young
© J.A. Young

En imaginant Of Fire, Far Shining, l’Américain·e J.A. Young développe un univers peuplé de silhouettes chimériques, créatures nées des atrocités générées par l’humanité. Un monde aux antipodes de sa propre spiritualité.

« En 2020, j’ai vécu ce que Jeff Kripal, professeur spécialisé dans les études religieuses, appelle “le retournement” : une capacité soudaine à percevoir les dimensions extra-physiques de l’existence, qui étaient auparavant ignorées ou jugées non-pertinentes. Depuis, je n’ai cessé de m’instruire sur le mysticisme, pour déconstruire et reconstruire ma perspective ontologique », déclare J.A. Young. Marqué·e par cette révélation, iel se plonge dans les méditations bouddhistes et apprend à observer de manière consciente le monde qui l’entoure. Guidé·e par son intuition, iel laisse ses pulsions exprimer le « potentiel atmosphérique » présent dans son propre corps. Une expérience intime révélée par l’image : au sein d’un univers monochrome, ces fragments d’émotions se distillent, traçant des formes, des mouvements, des sensations vives, viscérales sur le papier.

Autodidacte, l’auteurice queer de 37 ans est tombé·e amoureux·se de l’art et de ses mouvances dès son plus jeune âge. En quête d’un moyen d’expression lui permettant de créer de manière solitaire tout en explorant la pesanteur des ambiances, iel découvre un livre d’optique dans une vieille librairie qui lui donne envie d’expérimenter avec l’argentique. « Ce n’était alors pas vraiment un intérêt, mais plutôt une sorte de besoin de regarder mon environnement en le déformant. J’ai ensuite été confronté aux aléas de ce procédé : les infiltrations de lumières, les problèmes d’expositions, de mises au point… Mais ces accidents surréalistes m’ont dévoilé le potentiel du 8e art », se souvient-iel. Peu après, J.A. Young s’ouvre à l’univers des livres photo : les narrations, le rapport au toucher, la charge émotionnelle qu’ils portent comme leur « dense abstraction »… « Mon obsession était née », révèle-t-iel.

© J.A. Young
© J.A. Young
© J.A. Young

Vivre dans une dystopie

Des yeux qui se lèvent vers des cieux absents, des fumées qui déclenchent les larmes, des barricades, des silhouettes masquées, encagoulées, J.A. Young fait de Of Fire, Far Shining le recueil dystopique d’une narration sans ponctuation. Partout, le cauchemar apparaît, se démultiplie, joue à nous effrayer. Dans un monochrome qui lisse les flux de pensées, l’auteurice colle, déchire, incline, peint, recadre, plie ses découvertes comme ses œuvres pour faire surgir l’aliénation. « J’essaie de générer une sensation d’effroi, de suspense, de picotement – comme une surcharge d’électricité statique ou d’oreilles qui bourdonnent. Je crois que j’essaie de transmettre une forme d’anticipation. Comme si quelque chose était sur le point de se produire, ou que cela s’est produit, mais qu’on l’a manqué. Comme si quelqu’un d’invisible vous observait, ou que vous avez pris quelqu’un en flagrant délit », précise-t-iel.

Au cœur de ses expérimentations, des phénomènes historiques datant du début des années 1940 à nos jours. La montée de l’État de sécurité nationale américain, les massacres commis par le complexe militaro-industriel du pays, l’impact regrettable de l’humanité sur son environnement et les propagandes idéologiques qui facilitent ces atrocités. Dans les images de J.A. Young, les masques à oxygène deviennent les costumes funestes d’une armée vouée à détruire en même temps qu’elle se meure. Dans son sillon, les carcasses d’animaux, les bois morts de forêts devenues stériles, les blocs opératoires où échouent des victimes sans visage, prêtes à servir de munition à l’avancée de la science. « J’ai l’impression nous vivons dans une sorte de dystopie depuis longtemps. Notre technologie s’est tellement sophistiquée rapidement depuis la révolution industrielle que nous en avons oublié notre développement spirituel et moral », confie l’artiste. Des visions glaçantes qui s’animent étrangement grâce aux manipulations de J.A. Young. Entrant en collision avec ses propres croyances, ces irruptions de violence viennent s’écraser dans sa réalité, l’obligeant à « nager entre ces deux extrêmes » pour faire du chaos qu’ils engendrent le terreau de sa propre création.

© J.A. Young

© J.A. Young
© J.A. Young

© J.A. Young


© J.A. Young
© J.A. Young

© J.A. Young

© J.A. Young

© J.A. Young

© J.A. Young
© J.A. Young
À lire aussi
Focus #12 : Marta Bogdanska raconte l’étonnante histoire des animaux-espions
Focus #12 : Marta Bogdanska raconte l’étonnante histoire des animaux-espions
Le mercredi, avec Focus, nous donnons la parole à vos photographes préféré·e·s ! Et ce nouvel épisode est consacré à Marta Bogdanska et…
18 mai 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Immortaliser les manifestations qui animent notre monde en crise
© Boby
Immortaliser les manifestations qui animent notre monde en crise
Enjeux sociétaux, troubles politiques, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent…
15 décembre 2023   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Quand les monstres de nos cauchemars rencontrent ceux des dictatures
Quand les monstres de nos cauchemars rencontrent ceux des dictatures
Dans Der Adler, Yurian Quintanas Nobel transforme les images d’un magazine de propagande en scènes surréalistes et horrifiques et explore…
26 avril 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
L’équipe de Fisheye partage ses coups de cœur : Sophie Gabrielle
L’équipe de Fisheye partage ses coups de cœur : Sophie Gabrielle
Découverte récente, coup de foudre artistique, ou même artiste phare… Dans chaque numéro, différents membres de l’équipe Fisheye prennent…
05 mai 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas

Explorez
La sélection Instagram #489 : chambre vermeille
© Maša Stanić / Instagram
La sélection Instagram #489 : chambre vermeille
La couleur rouge a une place toute particulière en photographie. Dans les laboratoires de tirages, elle éclaire la pénombre et révèle...
14 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Entre ombre et lumière, Sarah Moon illumine le 7 à 9 de Chanel
© Sarah Moon
Entre ombre et lumière, Sarah Moon illumine le 7 à 9 de Chanel
La première édition du 7 à 9 de Chanel a réuni, au Jeu de Paume, l’emblématique photographe et cinéaste Sarah Moon, l’étudiante en art...
13 janvier 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Contenu sensible
Aldo Giarelli, le queer au corps
© Aldo Giarelli
Aldo Giarelli, le queer au corps
Photographe de mode, Aldo Giarelli restitue dans sa dernière série, We are Everywhere, des corps queers à la fois sexualisés et divers.
10 janvier 2025   •  
Écrit par Hugo Mangin
La sélection Instagram #488 : étoffe caméléon
© Theresa Maria / Instagram
La sélection Instagram #488 : étoffe caméléon
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine jouent avec le grain, dansent avec les mailles, ou impriment des images sur des...
07 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Jean Ranobrac : des imaginaires queers iconiques
© Jean Ranobrac
Jean Ranobrac : des imaginaires queers iconiques
Jean Ranobrac est artiste et photographe. Magicien de la retouche, il est connu pour ses univers queers déjantés. Après avoir arpenté les...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
Sony World Photography Awards : la photographie à la fleur de l'âge
© Thapelo Mahlangu, South Africa, Shortlist, Student Competition, Sony World Photography Awards 2025
Sony World Photography Awards : la photographie à la fleur de l’âge
Les Sony World Photography Awards annoncent les finalistes de ses deux compétitions célébrant les jeunes photographes à travers le monde...
21 janvier 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Balázs Turós et le quotidien de sa grand-mère atteinte de démence
© Balázs Turós
Balázs Turós et le quotidien de sa grand-mère atteinte de démence
Confronté à la maladie de sa grand-mère et à ses propres questionnements existentiels, le photographe hongrois Balázs Turós sonde l’âme...
21 janvier 2025   •  
Écrit par Agathe Kalfas
La sélection Instagram #490 : jardin secret
© Talya Brott / Instagram
La sélection Instagram #490 : jardin secret
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine confectionnent un nid douillet. Sur leurs images se dévoilent un cocon familial...
21 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger