Premier livre de photographie de Bex Day, PETAL, célèbre la diversité des vulves. Souhaitant abolir les représentations faussées de cet organe génital, elle sublime avec douceur l’intimité des personnes photographiées, femmes ou non binaires, en y apposant des fleurs. Entretien.
Fisheye : Qui es-tu, Bex ?
Bex Day : Je suis une photographe et réalisatrice autodidacte originaire de Londres. Après des études de journalisme, je suis allée à New York et j’ai assisté Ryan McGinley, entre autres photographes. Je suis ensuite devenue rédactrice en chef de PYLOT Magazine, un magazine de mode et d’art entièrement analogique, sans aucune retouche esthétique.
J’ai une forte tendance à remettre en question les normes inflexibles de la beauté dans mon travail. À travers mes projets, je cherche à remodeler les notions préconçues de représentation et à amplifier les voix de celleux qui sont souvent négligé·es. Dans ma première exposition solo intitulée Hen, je me suis penchée sur les expériences des communautés transgenres plus âgées au Royaume-Uni. Par la suite, j’ai entrepris le projet Children of Covid, qui explorait l’impact de la pandémie sur le bien-être mental et émotionnel des enfants. Pour ce faire, j’ai associé leurs expressions écrites à leurs portraits et à un film correspondant.
À quand remonte ton premier souvenir en photographie ?
J’ai réellement commencé en 2016, mais durant mon enfance mon père prenait toujours des photos à des moments très inopportuns, je me suis donc habituée à avoir un appareil photo sous les yeux et j’ai supposé que c’était ce que tout le monde faisait aussi. Je voulais cependant le faire différemment, avoir un impact en remettant en question les idéaux de beauté rigides dans mon travail et au-delà. J’ai une formation en journalisme et j’ai effectué mon dernier stage chez British Vogue… J’ai décidé que travailler dans un bureau n’était pas fait pour moi.
Quelles sont tes principales sources d’inspiration ?
Ryan McGinley, bien sûr ! Dans le désordre, et sans distinctions d’art, Botero, Bruce Davidson, Bruce Gilden, Bruno Barbey, David Goldblatt, Diane Arbus, Edward Hopper, Erwin Blumenfeld, Harry Gruyeart, Jaromir Funke, Otto Dix…
Un mot sur ta démarche artistique ?
Obsessionnelle.
J’aimerais revenir sur la genèse de PETAL. Qu’elle est-elle ?
PETAL est une célébration des vulves de toutes les femmes et de tous les sujets non binaires, quels que soient leur origine, leur forme, leur taille et leur âge. J’ai commencé la série PETAL il y a trois ans, pendant que je me photographiais moi-même. La citation des Monologues du vagin d’Eve Ensler a vraiment résonné en moi et a été l’un des premiers livres que j’ai commencé à consulter lors de mes recherches sur le projet. « Commençons par le mot « vagin ». Il sonne au mieux comme une infection, peut-être comme un instrument médical : « Dépêchez-vous, infirmière, apportez-moi le vagin ». » Dans notre société actuelle, le vagin est injustement considéré comme un organe sexuel moins important, défini non pas par ses attributs mais par ce qui lui manque par rapport au pénis. Comme Ensler l’a décrit de manière si poignante, le terme « vagin » lui-même met mal à l’aise de nombreuses personnes, ce qui souligne le besoin pressant d’un changement de perspective. J’ai trouvé que la façon dont la série vise à briser le tabou sociétal entourant les organes génitaux féminins résumait parfaitement ce que je voulais essayer d’émuler dans mon projet.
Dès le plus jeune âge, en particulier pour celles qui ont été élevées et socialisées en tant que femmes, on a tendance à utiliser des noms diminutifs comme « fleur » et « foo-foo » pour se référer à notre anatomie. Cette éducation a contribué à fausser la perception de ce qu’est un vagin « normal ». Cette distorsion est aussi partiellement influencée par les stéréotypes de la pornographie et les représentations dans les médias grand public, ainsi que par la censure culturelle. En fin de compte, la série cherche à créer un sentiment d’unité parmi les femmes, les personnes non binaires et celles qui s’identifient comme telles, en soulignant les similitudes de leurs vagins plutôt qu’en s’attardant sur les différences perçues. Chaque image est accompagnée d’un message écrit par le sujet, partageant ses sentiments personnels et ses expériences liées à son corps.
« Dans notre société actuelle, le vagin est injustement considéré comme un organe sexuel moins important, défini non pas par ses attributs mais par ce qui lui manque par rapport au pénis. »
Pourquoi aborder le sexe « féminin » sous cet angle ?
Tout d’abord, il est important de clarifier qu’il ne s’agit pas d’un sexe féminin, car les personnes non binaires ont aussi une vulve. En abordant sous cet angle la vulve, je voulais approfondir ma pratique et me pencher directement sur la honte corporelle des femmes, et la manière dont nous nous sentons souvent inadéquates en raison de la représentation des vulves dans les médias et dans le porno. Il était important pour moi d’avoir ces conversations difficiles avec les sujets concernés, qui allaient des stars du porno aux mères en passant par les victimes de viol. La diversité des personnes impliquées était importante – collaborer avec des modèles d’âges, de races, de sexes, de types de cheveux, de tailles et de formes différents, a permis de maintenir une véritable représentation au cœur du livre et a signifié que le projet offrait une plateforme pour des voix et des histoires diverses qui sont si souvent laissées de côté dans les récits grand public. Je souhaite que l’approche que j’ai adoptée pour PETAL brisera ces récits patriarcaux qui définissent trop souvent les vulves et permettra à toutes celles qui possèdent une vulve de définir la leur selon leurs propres termes.
Pourquoi avoir choisi ce titre ?
Ironiquement, le titre « PETAL » a été choisi pour souligner l’abandon de l’utilisation de termes diminutifs tels que « fleur » pour censurer le terme « vagin », en particulier lorsqu’on s’adresse à de jeunes enfants. Heureusement, cette tendance est en train de changer. Cependant, mon choix de fleurs et le titre final ont été influencés par de multiples facteurs. « Petal » était d’ailleurs un surnom que ma mère me donnait, et je lui ai dédié le livre dans le but de guérir notre relation et de nous rapprocher.
Que nous disent les fleurs qui masquent les vulves, des personnes représentées ?
Certaines vulves ont été plus couvertes que d’autres, en fonction de ce que le sujet se sentait à l’aise de montrer. Dans ce projet, la forme, la couleur et la taille de chaque pétale ont été délibérément déterminées par les personnes photographiées, servant de représentation de leur perception personnelle de leur propre vulve. Le lien entre les fleurs et les vulves est depuis longtemps porteur d’un symbolisme important. Il était primordial pour moi que la fleur choisie ait un lien significatif avec le parcours et les sentiments de chaque sujet à l’égard de sa vulve. D’un point de vue anatomique, il existe des parallèles entre les fleurs et les vulves. Aussi, j’ai toujours été curieuse de la corrélation entre les peintures de fleurs de Georgia O’Keefe et la façon dont elles ont parfois été interprétées comme des représentations de vulves, notamment par son mari Alfred Stieglitz. Ses peintures étaient radicales dans la mesure où elles étaient perçues comme une source d’autonomisation plutôt que comme un objet. Je voulais que PETAL ait le même effet et fonctionne de la même manière que le concept d’Audre Lorde, selon lequel l’érotisme serait un moyen d’autonomisation des femmes plutôt qu’un simple moyen de les sexualiser.
J’ai également trouvé intéressant que, bien que les fleurs soient souvent associées à la féminité, elles soient biologiquement hermaphrodites à 90 %. L’inclusivité est toujours au cœur de mon travail et j’ai cherché à intégrer les communautés non binaires dans le projet parce que j’estimais qu’il était important de s’assurer que ces voix soient également prises en compte. Cette intention m’a amenée à faire des recherches sur l’histoire de Narcisse, où un homme se transforme en jonquille – ce qui s’écarte des associations habituelles de genre. J’ai trouvé inspirante la manière dont ce contraste remettait en question l’idée que ces thèmes sont exclusivement liés aux femmes, en reconnaissant les complexités du genre au-delà des constructions traditionnelles. Historiquement, les hommes peignaient généralement des nus féminins, tandis que les femmes peignaient des fleurs. Ainsi, PETAL défie ces normes de genre en fusionnant les nus et les fleurs dans le même contexte. Comme l’exprime O’Keefe : « Vous avez apposés toutes vos propres associations de fleurs à ma fleur… Et je ne pense pas et ne vois pas de quoi vous voulez parler. »
Un dernier mot ?
J’ai été attirée par l’idée que les différentes fleurs ont des significations diverses pour les individus, souvent chargées de projections et de liens personnels. Ainsi, en permettant à chaque participant de choisir sa fleur, j’ai approfondi ma compréhension de leur parcours individuel avec leurs organes génitaux. En outre, la fragilité perçue des fleurs fait écho à la sous-évaluation historique du vagin en tant qu’organe sexuel. Le vagin a souvent été défini non pas par ses attributs, mais par son manque perçu par rapport au pénis. Pourtant, les fleurs font preuve d’une incroyable résilience, traversant toutes les saisons et s’épanouissant même dans des conditions défavorables, à l’instar des femmes. Dans l’ensemble, le projet PETAL remet en question les normes, célèbre la diversité et explore la relation complexe entre la perception, l’identité et le symbolisme à travers le prisme des fleurs et des expériences humaines.
Ce projet est à découvrir du 14 septembre au 6 octobre à la Have A Butchers Gallery de Londres.
Édition limitée à 500 exemplaires, signés par l’artiste
176 pages
£54.99