Photographes : la parole aux femmes

10 mai 2018   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Photographes : la parole aux femmes

Treize regards de femmes photographes se croisent au Cellier de Reims dans des séries d’une qualité et d’une créativité remarquables. Tout simplement intitulée Photographes, l’exposition collective est à découvrir jusqu’au 29 juillet 2018.

« Si une majorité de femmes sont diplômées des écoles d’art, leurs œuvres ne font l’objet que de 15 % des expositions. »

C’est sur ce constat qu’Alain Collard, directeur de l’association La Salle d’Attente – qui vise à promouvoir la photographie en Champagne Ardenne – décide de présenter l’exposition collective Photographes. Dans les magnifiques salles voûtées du Cellier, lieu culturel rémois, les travaux de treize femmes photographes sont mis en avant : Azadeh Akhlaghi, Leila Alaoui, Delphine Balley, Carolle Benitah, Elina Brotherus, Jean Brundrit, Melanie-Jane Frey, Laurence Geai, Shadi Ghadirian, Camille Gharbi, Wilma Hurskainen, Hélène Virion et Dorothea Lange.

C’est en découvrant l’exposition consacrée aux artistes féministes des années 1970 des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles, que le directeur s’est mis à s’interroger sur la place des femmes dans le huitième art. « Nous avons commencé à construire ce projet il y a deux ans et demi. Les invitées sont de véritables coups de cœur de notre équipe. » Résultat : dans Photographes, pas de thématique imposée, l’accent est plutôt mis sur la diversité des séries des artistes. Même si les œuvres s’articulent autour de thèmes voisins : la politique, l’enfermement, la famille, la guerre…

© Dorothea Lange© Dorothea Lange
FSA/8b33000/8b338008b33860a.tif

© Dorothea Lange

Retourner sur la scène du crime

Azadeh Akhlaghi, photographe iranienne, se penche sur l’histoire de son propre pays. Intitulée By an Eyewitness (“par un témoin oculaire”), sa série reconstitue dix-sept meurtres de personnalités, des opposants politiques, qui ont marqué l’Iran. Les dimensions de ses fresques photographiques, immenses, ne font qu’éclairer les expressions horrifiées et les corps sans vie qui remplissent le cadre.

Sont alors retracés les événements tragiques de la Révolution constitutionnelle de 1905, par exemple, ou de la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988. « Ces images sont le fruit des recherches que j’ai pu faire sur ces assassinats », décrit Azadeh. « Ce fut un travail fastidieux car toutes ces données sont oubliées, effacées par le gouvernement iranien ». L’artiste se sert de la photographie comme un outil de mémoire, qui permet de représenter ces drames occultés. « L’appareil photo n’existait pas à cette époque. En reconstruisant ces moments historiques, j’invite les gens à s’en souvenir, car une photographie ne ment pas. »

Pour ce faire, la photographe met en scène des figurants (acteurs ou amis) dans un décor impressionnant (qu’elle dresse entièrement à l’aide d’un storyboard) et réalise des clichés panoramiques. Azadeh Akhlaghi apparaît au cœur de la plupart des images, un foulard rouge sur la tête. « Je représente la conscience perturbée du peuple iranien », explique-t-elle. Une conscience collective qu’elle tente de restaurer avec ce témoignage poignant.

© Azadeh Akhlaghi

© Azadeh Akhlaghi

© Azadeh Akhlaghi

Décors étranges

Fascinée par les faits divers, notamment ceux relatés par le tabloïd anglais News of the World, Delphine Balley aime à les déconstruire dans son travail photographique. Dans 11, Henrietta Street, elle part d’un récit sordide datant de 1872. L’histoire de Margaret Platt, mère possessive de 79 ans, qui coupa la natte de sa fille de 43 ans par une belle après-midi d’été. Si sa série rappelle l’histoire de Raiponce des Frères Grimm, l’univers créé par la photographe est loin du conte de fées. Personnages sans visage, décors XIXe siècle, ambiances inquiétantes, Delphine Balley nous plonge dans les confins de l’étrange et de l’onirisme. Une série sublime où la photographie devient peinture.

© Delphine Balley© Delphine Balley

© Delphine Balley

© Delphine Balley

Osmose

La photographe finlandaise Wilma Hurskainen, elle, présente au Cellier sa série Méditations. « Il y a quelques années, durant une journée d’été, je méditais près de l’eau. J’ai alors ressenti une sensation étrange, à la fois surréaliste et très concrète : l’impression que mon corps ne faisait plus qu’un avec la nature qui l’entourait », explique Wilma. Suite à cette expérience, la photographe s’interroge : comment représenter cette curieuse sensation en photo ? La réponse lui vient à l’esprit alors qu’elle voyage en Australie, en 2013. Un matin brumeux sur la plage, les couleurs de ses vêtements se fondent avec perfection dans le paysage. Graphique et amusante, la série Méditations met en scène les sœurs de Wilma en osmose avec la nature. Un projet poétique autour de la relation entre l’homme et l’environnement.

© Wilma Hurskainen

© Wilma Hurskainen© Wilma Hurskainen
Skyline, 2013

© Wilma Hurskainen

© Camille Gharbi

© Camille Gharbi
“Lieux de Vie” / “A place to leave” Jungle de Calais ©camillegharbi
© Camille Gharbi
“Lieux de Vie” / “A place to leave” Jungle de Calais ©camillegharbi

© Camille Gharbi

© Shadi Ghadirian© Shadi Ghadirian

© Shadi Ghadirian

© Hélène Virion© Hélène Virion

© Hélène Virion

Explorez
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
© Bastien Bilheux
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
Bastien Bilheux et Thao-Ly, nos coups de cœur de la semaine, vous plongent dans deux récits différents qui ont en commun un aspect...
08 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dörte Eißfeldt, lauréate du prix Viviane Esders 2025
© Dörte Eißfeldt
Dörte Eißfeldt, lauréate du prix Viviane Esders 2025
Dörte Eißfeldt reçoit le prix Viviane Esders 2025 pour une œuvre qui repousse les frontières du médium, alliant rigueur conceptuelle et...
06 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
© Carla Rossi
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la...
03 décembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
5 événements photo à découvrir ce week-end
Rikka, la petite Balinaise, Fernand Nathan, Paris, 1956 © Dominique Darbois, Françoise Denoyelle.
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
29 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
© Grade Solomon
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
Grâce à l'impression risographie, Grade Solomon raconte les formes de vie et les états d’âme dans ce qu’ils ont de familier et de...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Milena III
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
© Melchior Dias Santos / Instagram
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’amusent à déformer leurs images. Ils et elles jouent avec le flou, la...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
© Bastien Bilheux
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
Bastien Bilheux et Thao-Ly, nos coups de cœur de la semaine, vous plongent dans deux récits différents qui ont en commun un aspect...
08 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 1er décembre 2025 : surface et profondeur
© Carla Rossi
Les images de la semaine du 1er décembre 2025 : surface et profondeur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes publiés sur les pages de Fisheye s’intéressent autant à la surface qu’à la...
07 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet