Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les sujets qui les inspirent. Aujourd’hui, Luke Evans, qui signe la couverture de Fisheye #72, nous parle de sa pratique artistique, oscillant entre commandes commerciales et expérimentations personnelles.
Si tu devais ne choisir qu’une seule de tes images, laquelle serait-ce ?
Curieusement – comme je photographie principalement des natures mortes –, ce serait l’image floue et bleue des deux amants et moi, celle qui figure en couverture du magazine ! L’idée m’est venue à un moment fort de ma vie, où j’explorais mon identité, l’amour et les relations. J’étais débordant d’émotions et, un après-midi, j’ai soudainement ressenti le besoin de capturer ce sentiment. J’ai donc organisé une séance photo dans mon studio avec mes amants, dans l’envie de créer une forme unique qui explorerait différents mouvements. Je garde cette séance très près de mon cœur en raison de l’énergie brute qu’elle dégage.
La première photographie qui t’a marqué et pourquoi ?
Une photo de Lily Donaldson portant une création John Galliano, prise par Nick Knight. Je me souviens avoir ouvert les pages du magazine et avoir été frappé par l’évasion et la fantaisie qui s’en dégageaient. Je pense que c’est cette image qui m’a fait prendre conscience du pouvoir de la photographie. J’ai grandi au milieu de nulle part, dans la campagne anglaise, et je n’avais pas facilement accès aux expositions, alors les magazines de mode étaient ma porte d’entrée. Cette image résonne encore aujourd’hui dans ma façon d’aborder mon travail.
Un shooting rêvé ?
L’année dernière, j’ai eu l’occasion de partir au Japon, ce qui était en tête de ma liste depuis des années, alors maintenant je suis plutôt dans un état de flottement, dans le bon sens du terme. Mais si je devais citer quelque chose, j’aimerais emporter mon appareil photo pour un long voyage à travers un paysage. Peut-être le Transsibérien. Il y a quelque chose dans le romantisme et l’imprévisibilité du voyage que j’apprécie de plus en plus.
Un ou une artiste que tu admires par-dessus tout ?
Hiroshi Sugimoto. J’aime son engagement envers une idée simple et brillante, exécutée avec précision et beaucoup de soin. Son travail est tellement curieux et réfléchi, sans aucune once de suffisance ou d’intelligence pour le plaisir d’être intelligent. J’aime aussi la longue durée de vie de ses séries, qui s’étendent souvent sur plusieurs années. Je trouve cela très rafraîchissant aujourd’hui, à une époque où l’on attend de nous que nous produisions à un rythme effréné.
Une émotion à illustrer ?
L’émerveillement.
Un genre photographique, et celui ou celle qui le porte selon toi ?
La photographie scientifique, que je trouve particulièrement bien représentée dans l’œuvre du photographe et peintre hongrois György Kepes. Son travail est tellement curieux, expressif et intemporel. Il est connu pour sa devise « avoir l’esprit d’un scientifique, le cœur d’un poète et l’œil d’un peintre », que j’essaie moi-même de suivre comme principe directeur.
Un territoire, imaginaire ou réel, à capturer ?
L’océan, tous les océans, toutes les mers.
Une thématique que tu aimes particulièrement aborder et voir aborder ?
La beauté, en particulier notre relation avec le monde naturel. C’est un mot tellement chargé, mais peu importe ce qui régit notre sens de la beauté, de l’harmonie et du plaisir, cela semble être quelque chose d’instinctif, d’ancien, voire de protecteur. Lorsque je me tiens au bord d’une rivière, tôt le matin, ou que je regarde les nuages se réorganiser au-dessus d’une falaise, je ressens ce même calme ancien et indifférent qui enveloppe tout, un sentiment tranquille que le monde, malgré son bruit et son agitation, est fondamentalement en ordre.
Un événement photographique que tu n’oublieras jamais ?
New Order à la Saatchi Gallery, où j’ai été complètement subjugué par le travail de David Benjamin Sherry, où l’on retrouve d’immenses tirages magnifiques représentant l’Ouest américain, mais dans des couleurs vives. Ce moment m’a transformé en tant qu’artiste. J’ai soudainement pris conscience de l’énorme influence que pouvait avoir le médium photographique et j’ai voulu me consacrer à sa maîtrise.
Une œuvre d’art qui t’inspire particulièrement ?
Rachmaninov est mon refuge lorsque j’ai du mal à mettre de l’ordre dans les idées qui se bousculent dans ma tête, et c’est encore mieux si je l’écoute dans le train !