Grande gagnante de la finale du prix Mentor à Paris en décembre dernier, Émeline Sauser est de nouveau sur les routes pour poursuivre sa série Refuges, faite d’histoires de vie. Entre deux voyages en stop, elle nous en raconte la genèse.
« Je suis dans un café, pas sûre qu’il y ait une bonne connexion. Là, je suis de passage à Lyon pour une nuit, ensuite je vais dans les Cévennes revoir Philippe et Elisa pour le troisième et dernier chapitre en date de Refuges. » Cette série, Émeline Sauser la démarre il y a un an et demi. Après une période assez sombre, suivie d’une rencontre lumineuse et « salvatrice », c’est le déclic. Refuges, c’est un travail documentaire qui se décline autour d’histoires de reconstruction à caractère universel. « Je fais des rencontres en faisant du stop en France et en errant dans les villes, précise-t-elle. Je demande aux gens au hasard des rues s’ils veulent bien me raconter leurs histoires. Parfois, cela devient un travail au long cours, ponctué de visites régulières pendant plusieurs mois. » L’autrice estime que « très souvent, le refuge, c’est les autres, l’amour, les liens ». C’est avec cette série qu’en décembre dernier, face à un jury de professionnel·les [dont Fisheye, ndlr], la photographe a remporté la finale de la 10e édition du prix Mentor, avec à la clé, une dotation de 5 000 euros et un accompagnement pour poursuivre son projet.
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Refuges, c’est d’abord l’histoire d’Héloïse. « Nous nous sommes rencontrées au lac d’Estaing, dans les Pyrénées. Elle est apparue, abritée sous une veste en jean tendue comme un parapluie, apprêtée d’une longue robe sombre. Ses bottes à talons s’enfonçaient dans la terre humide. Le contraste était
drôle. […] La mère, Pauline, tondait ses moutons. Elle m’a invitée à venir chez elles·eux, à La Réole, quand la transhumance serait terminée. Après des années de harcèlement scolaire, Héloïse a construit un univers glamour et féérique dans sa caravane posée sur le terrain agricole familial. » Un monde magique en décalage avec la vie à la ferme, dont elle compte s’éloigner en s’installant à Paris l’an prochain.
Derrière Refuges, il y a aussi ce couple, Heidie et Gaëtan, qu’Émeline Sauser rencontre dans une ruelle de Foix, en Ariège. « La première fois que je les vois, ils sont enlacés sur un banc, un peu ivres, l’air de flotter dans une espèce de coton qu’on appelle amour ou bonheur. […] Heidie parle, Gaëtan la regarde. Elle raconte comment ils viennent de se sauver ; ils se sentent en cavale. Heidie s’est barrée, comme elle dit, d’une relation destructrice qui a duré plusieurs années. Elle a eu un bébé avec cet homme, une petite fille. Le bébé est resté avec le père, pour l’instant. Son ivresse est aussi une délivrance après des années d’enfermement. Ce qui a décidé Heidie à partir, c’est Gaëtan, le jeune homme assis en face d’elle, qui la mange des yeux. C’est cette force d’être deux, de ne pas se retrouver seule. […] Ils ont trouvé un mobil-home pas cher, dans un camping à une centaine de kilomètres de leur village, pour tout recommencer. À partir de cette soirée, Heidie me laisse entrer dans sa vie et photographier la fragilité de cette période où tout est à faire, mais où tout menace de s’écrouler : leur amour naissant et fougueux, le procès de plusieurs mois contre le père de sa fille, le stress de trouver de l’argent, le retrait de permis de Gaëtan […]. »
Le sens de la vie
Dans ce café lyonnais, à travers son écran et une connexion internet qui flanche de temps à autre, Émeline Sauser nous raconte également sa rencontre avec les protagonistes du troisième volet de sa série : Philippe et Elisa, un père et sa fille qu’elle prévoit de retrouver le lendemain dans les Cévennes. Lui, c’est au bar du village de Lasalle qu’elle le croise pour la première fois. Il boit une bière, assis près de son molosse corse. La photographe l’aborde et très vite, il l’invite chez lui. Étrangement, c’est le chien qu’elle a le plus craint. Jusqu’à cette rencontre, Émeline en avait la phobie. Philippe est agriculteur, il est endetté. « Il y a des jours où il se meut dans une chape de silence, le visage fermé, le regard introuvable. » Elisa, sa fille aînée qui n’exerce pas le même métier que lui, est revenue habiter dans le coin pour le soutenir. C’est leur relation qui intéresse l’artiste.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #71.