Prix Mentor : Au hasard des rencontres

01 mai 2025   •  
Écrit par Gwénaëlle Fliti
Prix Mentor : Au hasard des rencontres
Heidie et Gaëtan. © Émeline Sauser
Une jeune femme est allongée sur un canapé dans un mobil-home, une cigarette à la main et un oiseau sur l'épaule
Héloïse. © Émeline Sauser

Grande gagnante de la finale du prix Mentor à Paris en décembre dernier, Émeline Sauser est de nouveau sur les routes pour poursuivre sa série Refuges, faite d’histoires de vie. Entre deux voyages en stop, elle nous en raconte la genèse.

« Je suis dans un café, pas sûre qu’il y ait une bonne connexion. Là, je suis de passage à Lyon pour une nuit, ensuite je vais dans les Cévennes revoir Philippe et Elisa pour le troisième et dernier chapitre en date de Refuges. » Cette série, Émeline Sauser la démarre il y a un an et demi. Après une période assez sombre, suivie d’une rencontre lumineuse et « salvatrice », c’est le déclic. Refuges, c’est un travail documentaire qui se décline autour d’histoires de reconstruction à caractère universel. « Je fais des rencontres en faisant du stop en France et en errant dans les villes, précise-t-elle. Je demande aux gens au hasard des rues s’ils veulent bien me raconter leurs histoires. Parfois, cela devient un travail au long cours, ponctué de visites régulières pendant plusieurs mois. » L’autrice estime que « très souvent, le refuge, c’est les autres, l’amour, les liens ». C’est avec cette série qu’en décembre dernier, face à un jury de professionnel·les [dont Fisheye, ndlr], la photographe a remporté la finale de la 10e édition du prix Mentor, avec à la clé, une dotation de 5 000 euros et un accompagnement pour poursuivre son projet.

Une femme, une cigarette à la bouche, tient délicatement le visage d'un homme regardant au loin.
Une père et sa fille sont allongé·es sur un matelas, deux chiens sont avec elleux.
Philippe et Elisa. © Émeline Sauser
Couverture de Fisheye Magazine #70 : Griffes
156 pages
7,50 €

Refuges, c’est d’abord l’histoire d’Héloïse. « Nous nous sommes rencontrées au lac d’Estaing, dans les Pyrénées. Elle est apparue, abritée sous une veste en jean tendue comme un parapluie, apprêtée d’une longue robe sombre. Ses bottes à talons s’enfonçaient dans la terre humide. Le contraste était
drôle. […] La mère, Pauline, tondait ses moutons. Elle m’a invitée à venir chez elles·eux, à La Réole, quand la transhumance serait terminée. Après des années de harcèlement scolaire, Héloïse a construit un univers glamour et féérique dans sa caravane posée sur le terrain agricole familial. »
Un monde magique en décalage avec la vie à la ferme, dont elle compte s’éloigner en s’installant à Paris l’an prochain.

Derrière Refuges, il y a aussi ce couple, Heidie et Gaëtan, qu’Émeline Sauser rencontre dans une ruelle de Foix, en Ariège. « La première fois que je les vois, ils sont enlacés sur un banc, un peu ivres, l’air de flotter dans une espèce de coton qu’on appelle amour ou bonheur. […] Heidie parle, Gaëtan la regarde. Elle raconte comment ils viennent de se sauver ; ils se sentent en cavale. Heidie s’est barrée, comme elle dit, d’une relation destructrice qui a duré plusieurs années. Elle a eu un bébé avec cet homme, une petite fille. Le bébé est resté avec le père, pour l’instant. Son ivresse est aussi une délivrance après des années d’enfermement. Ce qui a décidé Heidie à partir, c’est Gaëtan, le jeune homme assis en face d’elle, qui la mange des yeux. C’est cette force d’être deux, de ne pas se retrouver seule. […] Ils ont trouvé un mobil-home pas cher, dans un camping à une centaine de kilomètres de leur village, pour tout recommencer. À partir de cette soirée, Heidie me laisse entrer dans sa vie et photographier la fragilité de cette période où tout est à faire, mais où tout menace de s’écrouler : leur amour naissant et fougueux, le procès de plusieurs mois contre le père de sa fille, le stress de trouver de l’argent, le retrait de permis de Gaëtan […]. »

Le sens de la vie

Dans ce café lyonnais, à travers son écran et une connexion internet qui flanche de temps à autre, Émeline Sauser nous raconte également sa rencontre avec les protagonistes du troisième volet de sa série : Philippe et Elisa, un père et sa fille qu’elle prévoit de retrouver le lendemain dans les Cévennes. Lui, c’est au bar du village de Lasalle qu’elle le croise pour la première fois. Il boit une bière, assis près de son molosse corse. La photographe l’aborde et très vite, il l’invite chez lui. Étrangement, c’est le chien qu’elle a le plus craint. Jusqu’à cette rencontre, Émeline en avait la phobie. Philippe est agriculteur, il est endetté. « Il y a des jours où il se meut dans une chape de silence, le visage fermé, le regard introuvable. » Elisa, sa fille aînée qui n’exerce pas le même métier que lui, est revenue habiter dans le coin pour le soutenir. C’est leur relation qui intéresse l’artiste.

Cet article est à retrouver dans Fisheye #71.

À lire aussi
Fisheye #70 : la photographie de mode montre ses griffes
© Léo Baranger
Fisheye #70 : la photographie de mode montre ses griffes
Alors que la Fashion Week parisienne vient de s’achever, Fisheye consacre son numéro #70 à la mode. Au fil des pages, photographes et…
12 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Focus : la communauté LGBTQIA+ donne de la voix
© Michael Young
Focus : la communauté LGBTQIA+ donne de la voix
Depuis deux ans, Focus s’attache à raconter des histoires : celles qui enrichissent les séries des photographes publié·es dans nos pages….
12 juin 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Raymond Depardon immortalise une paisible ruralité
Raymond Depardon immortalise une paisible ruralité
Au Pavillon Populaire de Montpellier, Raymond Depardon présente Communes. Un périple rural en Occitanie, immortalisé à la chambre…
24 février 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Du silence aux images : le mentorat des Filles de la photo
© Claire Delfino
Du silence aux images : le mentorat des Filles de la photo
Quand la photographie devient le lieu d’un tissage mémoriel, politique et sensible, le mentorat des Filles de la Photo affirme toute sa...
12 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Les coups de cœur #554 : Katarina Marković et Marine Payré
© Katarina Marković
Les coups de cœur #554 : Katarina Marković et Marine Payré
Katarina Marković et Marine Payré, nos coups de cœur de la semaine, apprécient jouer avec le flou dans leurs portraits. La première les...
11 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Axelle Cassini : se rencontrer dans l'autre
Autoportrait © Axelle Cassini
Axelle Cassini : se rencontrer dans l’autre
Comment s’auto-représenter ? Quel lien entre image et identité ? Axelle Cassini, à travers son œuvre poétique et nuancée, explore ces...
08 août 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Aurélien Mathis : mythologies queers, format monumental
© Aurélien Mathis
Aurélien Mathis : mythologies queers, format monumental
Nourri d’iconographies religieuses, de peinture classique et de cinéma populaire, Aurélien Mathis compose des images hautement mises en...
07 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
On Country :  entendre la terre
© TonyAlbert&David Charles Collins Brittany Malbunka Reid, Warakurna Superheroes #6 2017 Superheroes 2017. Courtesy and Sullivan + Strumpf.
On Country : entendre la terre
À Arles, On Country explore le lien vital entre terre, mémoire et futur. Cette plongée sensible dans la photographie australienne...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Fabiola Ferrero : des abeilles et des hommes
I Can’t Hear the Birds © Fabiola Ferrero
Fabiola Ferrero : des abeilles et des hommes
La photographe et journaliste Fabiola Ferrero retourne au Venezuela et ravive la mémoire collective de son pays qui entre 2014 et 2020 a...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Sarah Moon, expérimentations et ville engloutie : dans la photothèque de Sophie Alyz
Un ou une artiste que tu admires par-dessus tout ? © Sophie Alyz
Sarah Moon, expérimentations et ville engloutie : dans la photothèque de Sophie Alyz
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
13 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Du silence aux images : le mentorat des Filles de la photo
© Claire Delfino
Du silence aux images : le mentorat des Filles de la photo
Quand la photographie devient le lieu d’un tissage mémoriel, politique et sensible, le mentorat des Filles de la Photo affirme toute sa...
12 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina