Côtoyant les bars et cafés du paysage urbain et villageois français, Guillaume Blot a composé Rades. Une série d’images réunies dans un ouvrage qui nous parle avec authenticité et légèreté de communautés, d’habitué·es ou d’initié·es, se retrouvant pour se décharger dans les troquets du coin. Un projet nous racontant, de l’intérieur, des bribes de vies méconnues.
À toute heure de la journée on peut s’y retrouver, prendre un demi ou un Perrier, grignoter quelques cacahuètes bien salées, abandonnées dans un ramequin à moitié lavé… Là-bas, l’envie de recommander une énième tournée guette toujours l’assemblé : oui, il s’agit bien des bons rades de quartier (de l’argot comptoir, ndlr). Pour Guillaume Blot, ces lieux n’ont plus vraiment de secrets, hormis peut-être ceux des client·es qui les peuplent. « Un bon rade, c’est pour moi une devanture défraichie, un carrelage mosaïque, un sol qui colle, des chiottes pas hyper propres, où trônent une petite pancarte sur laquelle sont inscrits des jeux de mots bien gras. Le café n’y est pas très bon. Et puis il y a toujours une figure emblématique qui le gère, avec des personnes qui l’environnent. » Parcourant les villages et les villes françaises, à la recherche de visages peuplant les bistrots « du coin », Guillaume Blot a composé Rades, une série adaptée en un ouvrage aux effluves d’alcool et de belles solitudes. Un projet qu’il y a initié il y a quatre ans de cela, après une série consacrée aux buvettes de stade et aux bingos. Commençant par photographier les Cafés des Sports – un nom générique emprunté par une majorité d’établissements français selon l’INSEE — il a ensuite souhaité représenter les pluralités de bars, en englobant les fameux rades, ces espaces authentiques, peuplés d’habitué·es, communément perçus comme le symbole d’une France vieillissante réunie au comptoir. Des lieux à dominance masculine, souvent synonymes de vies lourdes. Mais dans l’objectif de Guillaume Blot, ce sont surtout des lieux de rencontre, d’errances partagées, de tristesse désengorgées.
D’une enfance passée à Thouaré-sur-Loire – commune de l’ouest de la France, proche de Nantes – il se souvient d’avoir toujours baigné dans un environnement urbain peuplé de cafés, d’endroits fantasmés dans son œil enfantin, qui, à l’âge adulte sont vite devenus des endroits qu’il a fréquentés. « Mes parents habitaient et habitent toujours dans le bourg, auprès des bars, il y en avait un assez mythique qui s’appelait “La boule d’or”, avec un terrain de pétanque à l’arrière. Je passais souvent devant, sans y entrer, et j’aimais m’imaginer ce qui pouvait se passait à l’intérieur. Visuellement, ça m’a nourri et marqué », se souvient-il. D’une fascination bienveillante portée sur ces milieux populaires, il construit alors un ensemble documentaire, destiné à représenter celleux qui tiennent encore debout, résistant tant bien que mal à une disparition prochaine.
Archive de passage
Les photos recueillies, du sud de la France en passant par la diagonale du vide, deviennent ainsi des prétextes visuels pour raconter des histoires de vies. Certaines fois accompagnées d’un contexte textuel, mais souvent dépourvues de mots. Seulement des moues, des caractères qui se lisent dans un clin d’œil, un sourire. Quatre ans d’images, de témoignages, de rencontres, d’anecdotes, et toujours avec lui un moyen de rester en contact avec celles et ceux qu’il rencontre. « Mes images sont des reflets de leur vie. Comme celles de Cécile et Jean Claude, que j’ai rencontrés dans la Haute-Vienne, qui tenaient ensemble une espèce de bar, station-service et garage. Un espace hybride perdu au beau milieu de nulle part, avec tout un tas de personnes qui gravitaient autour. Cécile servait des petits verres de blancs et allait ensuite faire le plein. C’est ce genre d’histoire que j’ai souhaité raconter, une forme de quotidien sans artifices ». Si dans l’imaginaire collectif, les rades sont témoins d’une rudesse de l’existence, dans ce qu’ils accueillent, dans l’alcoolisme qu’ils font fructifier, Guillaume Blot entend démontrer que ce sont avant tout des milieux où se noient les jugements. « Ici, il y a la réalité, et dans notre réalité existent l’alcoolisme, les débats, la difficulté. Ces cafés sont un peu comme des résidences secondaires, des couloirs par lesquels les gens passent avant de rentrer chez elleux. Un espace qui agrège plein de solitudes, avec ses excès, ses déboires », ajoute-t-il.
Des agrégats d’isolements, voilà ce que l’artiste a proposé dans son livre grâce à des dyptiques qui se répondent avec humour et désinvolture. Volontairement, les décadrages photographiques nous immergent dans l’ivresse qui s’y dégage. Le flash, la sensation que la journée passe sans que l’on ait vu arriver le soir ni le lendemain de gueule de bois. Tout tourne, les rosés limonades coulent à flots, et la bière inonde les rires. Rien ne s’arrêtera tant que le verre ne sera pas terminé. Soigner le mal par le mal : la voici la recette du bonheur.
168 pages
28€