Avec Room 416, Sakiko Nomura invite les lecteurices à former des triptyques au gré de leurs envies. Multipliant les associations et effaçant toute information concrète, l’artiste fait de son œuvre photographique le réceptacle de notre narration comme de nos émotions. Une expérience ludique, à explorer à volonté.
Une chambre d’hôtel, une clé, qui ouvre sur un territoire étrange, à la fois impersonnel et familier. Des lueurs tamisées, une ambiance feutrée. Çà et là, des corps qui s’unissent, des regards qui interrogent, des paysages de béton, des bouquets de fleurs… Des scènes ordinaires, qui façonnent notre quotidien, qui abritent une émotion intime, propre à chacun·e. Imaginé par les éditions Écho 119, l’ouvrage de Sakiko Nomura parvient à faire chavirer notre imaginaire dans celui de la photographe. Assez petit pour être glissé dans une poche – comme pour nous accompagner dans nos errances – Room 416 regroupe deux livres, imbriqués l’un dans l’autre, nous invitant à composer, décomposer et recomposer des triptyques visuels au gré de nos envies comme de nos narrations inconscientes. « Sakiko aime beaucoup l’objet livre, elle nous a laissé carte blanche pour réaliser ce projet, après nous avoir expliqué ce qui était important pour elle. Il y a un aspect très ludique dans cette édition : elle est faite pour vivre, être réinventée à chaque fois. C’était un véritable challenge : nous avons mis deux ans à la terminer, après avoir imaginé cinq versions avec notre relieur. Il nous fallait trouver le bon équilibre avec le papier, pour que tout soit parfait », explique la directrice artistique Kinuko Esther Asano.
S’affranchissant de toute information venant les ancrer dans une quelconque réalité – aucune légende ne vient préciser les époques ni les lieux représentés – les images évoquent un cadavre exquis délicat, formé par des Polaroïds couleurs aux tons diffus. Un terrain de jeu sans fin, emblématique de la pratique de l’autrice. Assistante privilégiée de Nobuyoshi Araki durant trente ans, Sakiko Nomura a développé, aux côtés du maître de la photographie japonaise, son œil aiguisé. Préférant évoquer plutôt qu’affirmer, cette dernière cherche à révéler « quelque chose de puissant et de mystérieux, que l’on ne peut saisir avec des mots », à travers sa pratique. Accidents, envers du décor, scènes de préparations, émotions spontanées… Dans ses créations, le ressenti prime. Un éloge de l’incertain, de l’indicible qu’elle poursuit naturellement dans Room 416.
Cette pièce que l’on reconstruit à l’infini
Car au cœur de l’ouvrage se croise une grande partie des archives de la photographe. Des Polaroïds couleur – chose rare dans son œuvre majoritairement monochrome – qui enrichissent d’autres récits publiés, et offrent aux regardeur·ses des indices, des pistes à explorer pour mieux comprendre ses clichés. « On retrouve par exemple des images colorées qui sont présentes en noir et blanc dans d’autres travaux, comme des clins d’œil au reste de son travail », explique Kinuko Esther Asano. Là aussi, Sakiko Nomura se plaît à jouer avec ses spectateurices. À la manière d’un chat, elle s’immisce dans notre imagination, sans jamais révéler ses intentions. Muette, elle laisse ses fragments visuels (nous) parler. « Le titre renvoie également à cette sensation : il y a cette idée de déverrouiller une porte, de pénétrer dans un espace que tout le monde s’approprie », affirme la directrice artistique.
Un espace presque vide : un lit aux draps blancs, une lampe de chevet éclairant la pièce d’un halo orangé, un bureau rangé, une moquette sombre. Par la fenêtre, on observe la ville qui grouille, les voitures qui croisent les passant·es, les gratte-ciels qui se perdent dans les nuages. Plus loin, encore, vers la ligne d’horizon, on discerne le relief d’une montagne, ou les ombres d’arbres tropicaux. On est en voyage, loin de notre foyer, ou bien trop proches, cherchant désespérément le dépaysement dans une routine trop étouffante. On attend quelqu’un – une conquête, une amie, un mari – pour tromper la solitude de cette chambre d’hôtel. On rit, on s’ennuie, on s’endort alors que la nuit tombe, puis s’en va. Dans cette pièce, que l’on reconstruit à l’infini, Sakiko Nomura nous permet finalement de devenir les conteur·ses d’une histoire décousue. Les marqueurs effacés, la pertinence oubliée, l’évocation prend le dessus et nous immerge dans un récit que l’on tisse en toute liberté. « C’est un échange sans contrainte, une collaboration. Une manière de s’affranchir d’elle-même et de recréer », conclut Kinuko Esther Asano.
Le travail de Sakiko Nomura est à découvrir au cœur de l’exposition Radiographie de l’intime, visible jusqu’au 3 février à la Galerie Écho 119.
64 pages
46€