Jusqu’au 25 janvier 2025, les œuvres de Sabatina Leccia et Clara Chichin se dévoilent sur les cimaises de la Galerie XII. Intitulée Le Bruissement entre les murs, l’exposition donne à voir la série du même nom, réalisée au rythme du vivant dans un lieu singulier de la périphérie parisienne.
Nous avons coutume de prétendre que c’est à l’école que nous nouons nos plus belles amitiés. D’une certaine manière, Sabatina Leccia et Clara Chichin peuvent en témoigner. Toutes deux ont fait connaissance par l’entremise de leurs enfants, qui étaient scolarisés dans le même établissement. Au fil de leurs échanges, de nombreux points communs se sont révélés. Parmi eux se comptent notamment la maternité et le fait de résider dans la même ville, mais surtout la profession d’artiste et un attrait pour le paysage qu’elles envisagent comme « une cartographie intérieure ». Tout naturellement, elles décident alors d’entremêler leurs pratiques respectives, le dessin et la photographie, et de candidater ensemble à la bourse Transverse, qu’elles remportent en 2022. Leur collaboration a ainsi donné naissance au Bruissement entre les murs, une série exposée à la Galerie XII et consignée dans un beau-livre éponyme publié aux éditions Sun/Sun.
Explorer de nouveaux territoires
Avec poésie, ce projet tire son titre des murs à pêches de Montreuil. Les cultures en espaliers qui s’y trouvent, uniques en leur genre, ont été créées au 17e siècle et permettaient à la cour du roi de s’approvisionner en fruits. Au fil du temps, l’étalement urbain a recouvert la campagne dont cette dernière parcelle se présente désormais comme une zone de résistance. « Ce lieu est ceinturé par des tours, c’est un peu étrange. Il y a une pression immobilière qu’il faut combattre de manière incessante. Dès le début du 20e siècle, un collectif d’artistes s’est mobilisé pour conserver cet écrin de végétation foisonnante qui amène à rêver. Aujourd’hui encore, les gens veulent le préserver, comme un secret », explique Sabatina Leccia. À l’image se découvrent des fleurs et des ruines dans des teintes qui semblent avoir été épuisées par le temps. Elles apparaissent par soupçon et infusent les tirages comme des aquarelles. Immortalisés sur divers supports, ces fragiles fragments invitent à un moment de déambulation, de perte de repères et à porter une autre attention à l’environnement. « Je m’appuie beaucoup sur les textes de Gilles Clément [paysagiste, biologiste et écrivain français, NDLR], qui parle du jardin comme une sorte d’Eden où l’on conserve ce qui est le plus important. Avant, c’était la nourriture et, maintenant, c’est plutôt le vivant en général », indique Clara Chichin. Sabatina Leccia acquiesce et poursuit : « En tant que citadine, il s’impose comme un refuge, un espace où nous pouvons retrouver une certaine liberté, une respiration que nous ne pouvons pas avoir en ville. »
104 pages
À partir de 65 €
L’écologie du livre
À l’instar de la diversité des murs à pêches, l’approche des deux autrices fait preuve d’une grande richesse. « L’idée était d’être dans un mélange, un dialogue permanent, et de sortir de la solitude de l’artiste », souligne Clara Chichin. Chaque composition a ainsi été pensée en duo et cristallise une envie d’explorer de nouveaux territoires créatifs. « Nous nous sommes laissées porter par le paysage que nous avons traversé. Au début, nous voulions réaliser ce projet en noir et blanc, puis, avec l’arrivée du printemps, nous avons souhaité intégrer la couleur, en utilisant des jus de végétaux qui proviennent de ces jardins. Nous avons cheminé ensemble sur ces questions-là. Quand je perforais les tirages, Clara m’aiguillait, par exemple, en me donnant son avis », se souvient sa collaboratrice.
Difficile à reproduire dans un ouvrage, la matérialité des œuvres a donné lieu à de véritables objets d’art qui éveillent les sens. Chaque volume, imaginé aux côtés de l’éditrice Céline Pévrier, est notamment pourvu d’inserts imprimés en risographie qui permettent de prélever les images, de les mettre à la lumière et de les manipuler à notre gré pour mieux les éprouver. Certains d’entre eux, en édition limitée, célèbrent davantage l’artisanat. L’Atelier Papetier a réalisé leurs couvertures en washi, un papier japonais fabriqué à la main. Ludovic de Valon les a teintes avec une encre végétale de boutons de sophora et Sabatina Leccia les a piquetées avant que Chloé Picaud, de l’atelier Dédale Dedans, les relie une à une. « C’est aussi une manière de penser à une écologie du livre », assure le duo.