Par delà le fonctionnement de nos sociétés, la nature ou encore la mémoire et l’oubli, le photographe italien Tommaso Gallinaro s’intéresse aussi aux sentiments. Ses photographies apparaissent comme des « réponses » à ses émotions, qui l’inspirent et le chamboulent. Dans son projet La Tanière, il partage sa vision d’un monde confiné, en transformation.
C’est à l’occasion d’un concours organisé en partenariat avec la masterclass MILK que nous avons découvert pour la première fois les images de Tommaso Gallinaro. C’était en 2021, bien avant la pandémie. Deux ans plus tard, il nous partage un projet finalisé tendre et complexe. « Je vis parfois des moments de forte tension qui s’accompagnent de longues périodes non productives. Chaque début de projet est un temps sensible. Parfois, la réalisation de photographies est postérieure à un temps de recherche, où je m’éloigne délibérément de la forme. Le raccord entre la représentation (l’image photographique) et le questionnement théorique n’est pas toujours évident. Les faits observables ne sont pas des références exclusives. À ce stade, notre capacité à imaginer devient centrale », lance le photographe italien installé à Paris.
Sa série La Tanière interroge la temporalité, notre temporalité en temps de crise. Entre 2020 et 2021, par un concours de circonstances, l’artiste trouve refuge au cœur du centre de la France, dans un hameau isolé. « Ceci est un fragment de mon vécu. J’ai observé de loin l’émergence accélérée de « nouveaux phénomènes » », précise-t-il. Repli sur soi, délaissement de l’urbain, et plus largement désir de liberté… Ses images dépeignent surtout une saison inattendue, et nous ouvrent les portes de son « refuge isolé », de son « abri pour un hiver qui tardait à finir ».
Ancrer ses émotions
La Tannière n’est pas seulement le résultat d’une quête de verdure. Tommaso Gallinaro est né et a grandi dans une petite ville entourée de montagnes, et ses réflexions sur les espaces (naturels et domestiqués), les territoires (intérieurs et extérieurs) et leurs relations avec les êtres humains ont toujours mené à l’expérimentation. « Depuis quelque temps, je rencontre des difficultés à définir le terme « nature ». J’observe des formes de porosité entre ces différentes strates », confie le photographe. Il partage ici quelques bribes de son histoire, à la lueur de la grande Histoire. Certains rédigent leurs mémoires pour ne pas sombrer dans l’oubli, Tommaso Gallinaro ancre ses émotions pour tenter de comprendre la complexité de la réalité. Certes, il y a des questions laissées sans réponses, mais elles s’accompagnent souvent d’apparitions, de visions, et d’interprétations. On ne peut s’empêcher de voir le lien évident avec le processus photographique.
« Lorsque j’étais à l’école élémentaire, dans un établissement public ordinaire, j’ai eu la chance d’être accompagné par une institutrice exceptionnelle. Elle nous a transmis sa passion pour l’Art. De façon très libre et loin de toute forme de prétention, elle nous a introduits au théâtre, à l’écriture, à la poésie et à la photographie. C’était très stimulant. J’ai des souvenirs plutôt flous de cette première expérience avec la photographie, mais je me souviens qu’on allait dans la chambre noire pour développer et tirer des images. Un endroit magique et captivant : les chimies, l’apparition graduelle de l’image sur le papier sensible… On allait ensuite accrocher nos images sur les branches des arbres dans un parc situé aux alentours de l’école », se souvient l’auteur. La Tannière symbolise un entre-deux, une fracture à peine perceptible dans le monde des vivants – qu’ils soient sous terre ou sur terre. Là, les corps s’y font timides et de nouvelles géographies s’animent alors. Finalement, La Tannière traduit cet idéal qui guide les individus vers de nouveaux équilibres…
© Tommaso Gallinaro