« À travers cette mise en scène, j’interroge les dynamiques générationnelles : qui détient le savoir ? Qui a le droit de parler ? Et comment, au fil du temps, les rôles évoluent-ils sans se nier ? »
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Sarfo Emmanuel Annor, photographe ghanéen exposé à The Bridge Gallery, dans le 9e arrondissement parisien, jusqu’au 3 mai 2025. Pour Fisheye, il revient sur l’un des tirages présentés, qui évoque les dynamiques intergénérationnelles, de même que le passage à l’âge adulte.
En ce moment même, The Bridge Gallery présente Youthful Spirits, une exposition de Sarfo Emmanuel Annor. Dans cette nouvelle série, le photographe ghanéen retrace la trajectoire de sa nièce Afia, rendant compte des nombreuses interrogations et aspirations qui la traversent. Des compositions contrastées et minimalistes sur fonds colorés résultent de cette démarche. Au fil des images, un lien se décline. Il matérialise aussi bien les relations familiales et sociales qui évoluent que les émotions disparates que génère le passage à l’âge adulte. Aujourd’hui, l’artiste revient sur « Ka wa’no paa do », un cliché dont le titre signifie « garde le silence », en langue fanti.
Transmissions et dynamiques intergénérationnelles
« Dans cette image, je mets en scène un geste à la fois doux et puissant : une jeune figure pose sa main sur la bouche de son aînée, dans un échange où se mêlent silenciation et protection. Ce contact suggère un équilibre subtil entre transmission et remise en question, entre l’autorité du passé et la voix montante de la jeunesse. Le rouge intense du fond dramatise la scène, amplifiant la tension émotionnelle et symbolisant tout à la fois l’urgence, la passion et la rupture. Face à face, elles semblent suspendues dans un instant hors du temps, un moment de bascule où la parole et le silence s’affrontent et se répondent.
Leurs vêtements assortis – jaune éclatant sur fond sombre, foulards blancs noués avec précision – créent une unité visuelle qui évoque la continuité culturelle et le lien indéfectible entre elles. La lumière, quant à elle, caresse leurs visages et leurs mains, accentuant la gravité du geste et renforçant l’intensité du regard. À travers cette mise en scène, j’interroge les dynamiques générationnelles : qui détient le savoir ? Qui a le droit de parler ? Et comment, au fil du temps, les rôles évoluent-ils sans se nier ?
Cette photographie fait partie de Youthful Spirits, une série qui suit le chemin de ma nièce Afia, ici accompagnée d’une amie de la famille plus âgée, Asana. À travers elles, j’explore les tensions et les aspirations qui jalonnent le passage à l’âge adulte ainsi que l’idée d’une transmission qui s’opère dans la subtilité des gestes et des regards. Dans cette série, j’ai mis de côté mon iPhone, longtemps mon outil de prédilection, pour un boîtier. Ce changement m’a permis d’affiner mon approche de la lumière, des textures et des émotions. Chaque détail devient plus palpable : la posture des corps, la profondeur des ombres, la densité du rouge en arrière-plan. Si ma palette de couleurs reste éclatante et expressive, elle se charge ici d’un rôle plus symbolique, traduisant des émotions qui dépassent les mots.
À travers ces images, je cherche à saisir ce moment de bascule où l’innocence et la spontanéité de l’enfance se mêlent aux responsabilités émergentes. Comment accompagner cette transition sans en brider l’élan ? Comment préserver l’identité de chacun tout en honorant l’héritage collectif ? Ce sont ces questions qui traversent mon travail et qui, je l’espère, résonneront au-delà des frontières culturelles. »