La sélection Instagram #507 : quand la famille nous (dé)lie

20 mai 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
La sélection Instagram #507 : quand la famille nous (dé)lie
© Anna Gajewszky / Instagram

Qu’hérite-t-on de notre histoire familiale ? Quelles sont les limites de son influence sur notre construction personnelle ? Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine sondent les relations interfamiliales, sororales comme filiales, ce qui s’y joue et déjoue. Au travers de portraits, de mises en scène subtiles ou d’images recadrées, ces photographes interrogent les rôles que la famille nous attribue, explorent les liens qui s’y déploient et les ruptures qui y adviennent.

@annagajewszky

La photographe hongroise Anna Gajewszky explore les relations, la transmission et l’importance des traditions et des rituels ruraux dans sa famille originaire de Roumanie. Elle interroge la façon dont cet héritage culturel peut contribuer à façonner notre identité. Sa série photographique Monther Don’t You Cry se concentre sur les différentes générations de femmes, leur histoire, le rapport à la féminité qui s’y construit. Elle met en scène les « femmes de sa vie », selon son expression, de tous âges confondus, en les faisant poser pour un portrait ou en les capturant durant des activités agricoles ou des moments de détente. La composition des images d’Anna Gajewszky contient une forte dimension picturale : la disposition de ses sujets dans l’espace est délicatement chorégraphiée, les couleurs des robes soigneusement réfléchies. L’artiste photographie également les autres femmes de son quotidien, élargissant la notion de famille et offrant aux spectateur·ices des scènes emplies de douceur, de lumière et d’amitié.

Deux femmes, une plus âgée que l'autre, porte des sceaux sur une terre labourée.
© Anna Gajewszky / Instagram
Deux jeunes personnes. torses nus, sont allongées sur un matelas à la campagne au soleil.
© Anna Gajewszky / Instagram

@louise.degraeve

La douceur du noir et blanc et de la palette de couleurs de l’artiste belge Louise Degraeve accompagne la délicatesse de son regard. Finesse que l’on retrouve dans sa manière d’aborder la thématique de la maternité dans sa série Homegrown. Elle y révèle le difficile équilibre à trouver entre l’identité de mère et d’individu indépendant de ce nouveau rôle. Par son fréquent emploi du recadrage et du gros plan, elle insiste sur les gestes et les corps dont elle capture l’image. Rompant ainsi la distance entre le·a spectateur·ice et le sujet photographié, Louise Degraeve semble offrir à celui ou celle observant son travail de prendre sa place, de joindre sa vision à la sienne.

Une main tient un pot de yaourt à l'envers sur une assiette.
© Louise Degraeve / Instagram
Photographie en noir et blanc d'un enfant de profil, le visage caché par le cadrage, en gros plan.
© Louise Degraeve / Instagram

@alice_lasnier

Comment affirmer son individualité lorsque l’on nous perçoit comme la réplique d’un·e autre ? C’est la question que pose la photographe Alice Lasnier dans sa série Face à elle(s). Elle y interroge le rapport de deux sœurs jumelles à leur image, à leur identité. Jouant avec l’utilisation du diptyque, du reflet et de la duplication, l’artiste travaille les notions de double et de répétition. Dans un intérieur tamisé, on aperçoit le visage d’une des sœurs apparaître dans un miroir, tandis que celui de la seconde est coupé par le cadrage. Si Alice Lasnier sème ainsi la confusion, elle empêche toute comparaison, entravant le regard des spectateur·ices pour que subsiste seulement celui que le modèle pose sur lui-même.

Une jeune femme se regarde dans un miroir, tenu par sa jumelle.
© Alice Lasnier / Instagram
Portrait d'une jeune femme, le visage dupliqué.
© Alice Lasnier / Instagram

@lilyanne.barton

La photographe anglaise Lily Anne Barton se penche sur sa relation avec la forte figure que représente sa mère, mais également sur les hommes de son entourage, dont son père, interrogeant leur impact sur sa personnalité. Son travail sur la question de la performativité de la féminité et la manière dont la femme, dans notre société patriarcale, se construit à partir de la perception de l’homme met en relief cette interrogation posée à travers ses séries Thicker Than Water et The Fisherman’s Daughter. On découvre dans la première des photographies de sa mère, dont le visage nous est toujours caché, auprès de laquelle on voit parfois apparaître l’artiste. Pudeur et respect s’en dégagent, leur proximité n’étant que suggérée. On peut observer dans la seconde, au côté de paysages de pêche, des portraits de père et fille dont la complicité nous est présentée avec simplicité et retenue.

Une jeune femme se prend en photo avec sa mère semble lui sécher les cheveux.
© Lily Anne Barton / Instagram
Des pêcheurs pêchent sur un promontoir rocheux à la mer.
© Lily Anne Barton / Instagram

@emioconnell

Irlande 1964. La grand-mère de la photographe Emi O’Connel s’enfuit d’un « foyer pour mères et bébés ». Ces institutions religieuses, financées par le gouvernement irlandais, accueillaient des femmes tombées enceintes hors mariage. Dans ces lieux de maltraitance, de violences psychologiques, mais aussi de trafic d’adoption, les enfants étaient séparés de leur mère, lorsqu’ils survivaient aux conditions déplorables de l’établissement, puis confiés à des couples mariés. Dans sa série And then I ran, Emi O’Connel reproduit la fugue de sa grand-mère au travers d’autoportraits en noir et blanc, représentant dans le même temps les motifs de la perte et du deuil. Elle mêle à ces images – où le flou cinématique et le cadrage empêchent d’identifier le modèle en écho à la perte d’identité imposée aux femmes dans ces foyers – des photographies en couleur de paysages portant la mémoire de ces évènements, et des portraits de son père. Le visage de ce dernier est quant à lui dévoilé, son corps est immobile dans un décor et des vêtements aux couleurs prononcées. Il n’y a plus à fuir, ni à se cacher, mais l’histoire à porter et à dévoiler.

Le corps d'une femme en train de courir dans un paysage de nature, un fil (le déclencheur de l'appareil ?) à la main.
© Emi O’Connell / Instagram
Portrait d'un homme d'une cinquantaine d'années, assis, se tenant le visage et regardant au loin.
© Emi O’Connell / Instagram
À lire aussi
La sélection Instagram #504 : à l'ouvrage
© mr.lyrics989 / Instagram
La sélection Instagram #504 : à l’ouvrage
Jeudi, c’est la fête des travailleur·ses. Nous leur accordons un hommage tout en image dans notre sélection Instagram de la semaine….
29 avril 2025   •  
La sélection Instagram #505 : ce que dit le geste
© axelle.cassini / Instagram
La sélection Instagram #505 : ce que dit le geste
Langage du corps ou outil, le geste dit et produit. Il peut trahir comme démontrer, parfois même performer. Les artistes de notre…
06 mai 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Explorez
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
© Charlotte Abramow
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
Sept ans après la publication de son ouvrage Maurice, tristesse et rigolade, Charlotte Abramow rouvre les pages de l’histoire de son...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Elise Jaunet : quand l’intime devient manifeste
© Elise Jaunet
Elise Jaunet : quand l’intime devient manifeste
À travers sa série Faire corps – Journal d’une métamorphose, l’artiste nantaise Elise Jaunet explore la traversée du cancer du...
01 novembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Edward Weston, Shells, 1927 © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents / Edward Weston, Adagp, Paris, 2025. Courtesy Wilson Centre for Photography
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Jusqu’au 21 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie consacre une exposition exceptionnelle à Edward Weston. Intitulée...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Hamza Ashraf : Démo d’amour
We're Just Trying to Learn How to Love © Hamza Ashraf
Hamza Ashraf : Démo d’amour
Hamza Ashraf navigue dans le fleuve des sentiments amoureux et compose We’re Just Trying to Learn How to Love, un zine, autoédité, qui...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Laura Lafon Cadilhac : s'indigner sur les cendres de l'été
Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor © Laura Lafon Cadilhac
Laura Lafon Cadilhac : s’indigner sur les cendres de l’été
Publié chez Saetta Books, Red Is Over My Lover. Not Anymore Mi Amor de Laura Lafon Cadilhac révèle un été interminable. L’ouvrage se veut...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Trenza, le lien qui nous unit, 2025 ©Gabriela Larrea Almeida
Écofemmes Fest : un rendez-vous pour créer, lutter, transmettre
Jusqu'au 9 novembre prochain, La Caserne, dans le 10e arrondissement de Paris, accueille la première édition d’Écofemmes Fest, un...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
© Simon Vansteenwinckel
Simon Vansteenwinckel remporte le prix Nadar Gens d’images 2025
Le nom du lauréat de la 71e édition du prix Nadar Gens d’images vient d’être annoncé : il s’agit de Simon Vansteenwinckel. Le jury l’a...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
© Emile Gostelie
a ppr oc he : Rencontre au cœur de l’image
Dans cet espace pensé comme une exposition, un·e photographe et un·e commissaire croisent leurs regards. Pour cette première édition...
06 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche