À travers un livre en devenir, le photographe flamand Simen Lambrecht, désormais installé à Berlin, fait perdurer la mémoire de sa grand-mère disparue. Une campagne de financement participatif est en cours pour faire exister 82c9940_The art of living twice, un récit visuel empreint de tendresse et d’imagination qui nous invite à redécouvrir l’enfance, les traditions et la puissance évocatrice des images.
Certaines histoires n’ont pas besoin d’être racontées avec des mots. Elles se glissent dans les plis d’un rideau, dans la chaleur d’une étreinte ou dans les silences partagés autour d’une tasse de thé. 82c9940_the art of living twice, le projet de Simen Lambrecht, est de celles-là. C’est une histoire de deuil, mais aussi de reconnexion, de paysages retrouvés et d’objets qui se mettent à parler dès lors qu’on prend le temps de les écouter. Tout commence par des lettres écrites par sa grand-mère, avant qu’elle n’apprenne être atteinte d’un cancer incurable. Après son décès, Simen Lambrecht les relit. « J’ai remarqué une beauté et une profondeur émotionnelle que je n’avais pas vues auparavant. Cela m’a donné envie de réaliser un projet sur notre relation, non seulement telle qu’elle était, mais aussi telle qu’elle s’est poursuivie après sa mort », confie l’artiste. Ce passé enfoui devient matière à création. Il retourne ainsi dans le village flamand où il a grandi, non pas pour documenter des souvenirs, mais pour inventer une mémoire parallèle, un récit à la fois autobiographique et fictionnel. En concevant un espace où sa grand-mère pourrait vivre comme il l’imagine, Simon Lambrecht explore un univers suspendu où l’imaginaire et le souvenir s’entremêlent. « 82c9940 est avant tout une tentative d’appréhender la photographie comme une forme de fausse mémoire. Nous faisons souvent trop confiance aux clichés, les considérant comme une vérité objective. Ce projet ne porte pas sur des faits ou sur une compréhension anthropologique d’une génération ou d’une région ; il cristallise une émotion, un moment fugace qui serait autrement perdu », déclare-t-il.
La photographie comme seconde vie
Énigmatique, le titre du livre n’est rien d’autre qu’un code mathématique. « 9940 étant le code postal du village où ma grand-mère a vécu toute sa vie, pendant 82 ans. Et, the art of living twice, le sous-titre, est venu telle conclusion puisque, grâce à ce projet, j’ai appris à la connaître mieux que je ne l’ai jamais fait de son vivant », précise Simen Lambrecht. Refusant une approche strictement biographique, l’artiste construit une narration fragmentée, où les images naissent d’esquisses mentales, de souvenirs recomposés, de scènes recréées. Capturées sur pellicules, ses photographies baignent dans une lumière naturelle qui souligne la nostalgie avec justesse. Chaque cliché semble issu d’un rêve d’enfant, où l’on chercherait la trace d’une personne qu’on aime encore. Mais 82c9940 dépasse le simple album familial. Loin de tout pathos, les images instaurent une atmosphère flottante où se croisent le réel, le mythe et l’imaginaire. Un exemple frappant est celle d’un salon entièrement recouvert de toiles blanches, à l’exception d’un tableau coloré représentant le moulin familial. « C’est l’une des premières photos du projet. Elle a confirmé la direction que je voulais prendre », se souvient Simen Lambrecht. Les tissus, récupérés dans la remise de son aïeule, deviennent alors les vecteurs d’une présence invisible, celle de l’absence. D’autres photos montrent des ombres et gestes récurrents, des corps partiellement dissimulés – ceux des ami·es de la défunte –, incarnant une forme de transmission discrète, presque rituelle. « Je voyais ma grand-mère dans leurs mains, dans leurs expressions, dans leurs façons de m’accueillir », se remémore-t-il. À travers cette série, Simen Lambrecht ne cherche pas à reconstruire un passé, mais à en créer une version nouvelle, sensible et émotionnelle. Aujourd’hui, il souhaite faire exister ce travail sous la forme d’un livre. Pour cela, une campagne de financement participatif est en cours. Un appel à contribution pour faire de ce projet intime un objet tangible partageant un message universel sur l’absence et la mémoire.