Simen Lambrecht donne vie à la mort

02 mai 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Simen Lambrecht donne vie à la mort
© Simen Lambrecht
© Simen Lambrecht

À travers un livre en devenir, le photographe flamand Simen Lambrecht, désormais installé à Berlin, fait perdurer la mémoire de sa grand-mère disparue. Une campagne de financement participatif est en cours pour faire exister 82c9940_The art of living twice, un récit visuel empreint de tendresse et d’imagination qui nous invite à redécouvrir l’enfance, les traditions et la puissance évocatrice des images.

Certaines histoires n’ont pas besoin d’être racontées avec des mots. Elles se glissent dans les plis d’un rideau, dans la chaleur d’une étreinte ou dans les silences partagés autour d’une tasse de thé. 82c9940_the art of living twice, le projet de Simen Lambrecht, est de celles-là. C’est une histoire de deuil, mais aussi de reconnexion, de paysages retrouvés et d’objets qui se mettent à parler dès lors qu’on prend le temps de les écouter. Tout commence par des lettres écrites par sa grand-mère, avant qu’elle n’apprenne être atteinte d’un cancer incurable. Après son décès, Simen Lambrecht les relit. « J’ai remarqué une beauté et une profondeur émotionnelle que je n’avais pas vues auparavant. Cela m’a donné envie de réaliser un projet sur notre relation, non seulement telle qu’elle était, mais aussi telle qu’elle s’est poursuivie après sa mort », confie l’artiste. Ce passé enfoui devient matière à création. Il retourne ainsi dans le village flamand où il a grandi, non pas pour documenter des souvenirs, mais pour inventer une mémoire parallèle, un récit à la fois autobiographique et fictionnel. En concevant un espace où sa grand-mère pourrait vivre comme il l’imagine, Simen Lambrecht explore un univers suspendu où l’imaginaire et le souvenir s’entremêlent. « 82c9940 est avant tout une tentative d’appréhender la photographie comme une forme de fausse mémoire. Nous faisons souvent trop confiance aux clichés, les considérant comme une vérité objective. Ce projet ne porte pas sur des faits ou sur une compréhension anthropologique d’une génération ou d’une région ; il cristallise une émotion, un moment fugace qui serait autrement perdu », déclare-t-il.

© Simen Lambrecht
© Simen Lambrecht

La photographie comme seconde vie

Énigmatique, le titre du livre n’est rien d’autre qu’un code mathématique. « 9940 étant le code postal du village où ma grand-mère a vécu toute sa vie, pendant 82 ans. Et, the art of living twice, le sous-titre, est venu telle conclusion puisque, grâce à ce projet, j’ai appris à la connaître mieux que je ne l’ai jamais fait de son vivant », précise Simen Lambrecht. Refusant une approche strictement biographique, l’artiste construit une narration fragmentée, où les images naissent d’esquisses mentales, de souvenirs recomposés, de scènes recréées. Capturées sur pellicules, ses photographies baignent dans une lumière naturelle qui souligne la nostalgie avec justesse. Chaque cliché semble issu d’un rêve d’enfant, où l’on chercherait la trace d’une personne qu’on aime encore. Mais 82c9940 dépasse le simple album familial. Loin de tout pathos, les images instaurent une atmosphère flottante où se croisent le réel, le mythe et l’imaginaire. Un exemple frappant est celle d’un salon entièrement recouvert de toiles blanches, à l’exception d’un tableau coloré représentant le moulin familial. « C’est l’une des premières photos du projet. Elle a confirmé la direction que je voulais prendre », se souvient Simen Lambrecht. Les tissus, récupérés dans la remise de son aïeule, deviennent alors les vecteurs d’une présence invisible, celle de l’absence. D’autres photos montrent des ombres et gestes récurrents, des corps partiellement dissimulés – ceux des ami·es de la défunte –, incarnant une forme de transmission discrète, presque rituelle. « Je voyais ma grand-mère dans leurs mains, dans leurs expressions, dans leurs façons de m’accueillir », se remémore-t-il. À travers cette série, Simen Lambrecht ne cherche pas à reconstruire un passé, mais à en créer une version nouvelle, sensible et émotionnelle. Aujourd’hui, il souhaite faire exister ce travail sous la forme d’un livre. Pour cela, une campagne de financement participatif est en cours. Un appel à contribution pour faire de ce projet intime un objet tangible partageant un message universel sur l’absence et la mémoire.

© Simen Lambrecht
© Simen Lambrecht
© Simen Lambrecht
© Simen Lambrecht
© Simen Lambrecht
© Simen Lambrecht
À lire aussi
Balázs Turós et le quotidien de sa grand-mère atteinte de démence
© Balázs Turós
Balázs Turós et le quotidien de sa grand-mère atteinte de démence
Confronté à la maladie de sa grand-mère et à ses propres questionnements existentiels, le photographe hongrois Balázs Turós sonde l’âme…
21 janvier 2025   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
© Aleksandra Żalińska
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
À travers But please be careful out there, Aleksandra Żalińska photographie sa grand-mère, avec qui elle entretient une grande…
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Le voyage photographique de Jonathan Pivovar avec sa grand-mère défunte
Le voyage photographique de Jonathan Pivovar avec sa grand-mère défunte
En 2011, alors qu’il était en Irlande pour ses études, Jonathan Pivovar reçoit un colis surprise pour son anniversaire. Il provient de sa…
11 juillet 2017   •  
Écrit par Anaïs Viand
Explorez
Le souffle de la mémoire traverse le parcours Art et Patrimoine en Perche 2025
© Mathilde Eudes
Le souffle de la mémoire traverse le parcours Art et Patrimoine en Perche 2025
Jusqu’au 3 août 2025, le parcours Art et Patrimoine en Perche #06 place la création contemporaine au cœur de cette région verdoyante....
13 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eman Ali : dans les interstices des identités tokyoïtes
Nadya Akane, dans la série In Praise of Silence © Eman Ali
Eman Ali : dans les interstices des identités tokyoïtes
Eman Ali compose The Praise of Silence, fruit d’une résidence artistique à Tokyo. La photographe explore, dans un travail collaboratif...
11 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Éléa-Jeanne Schmitter en zone trouble
© Éléa-Jeanne Schmitter
Éléa-Jeanne Schmitter en zone trouble
Die Tore – en allemand, « les portes » – a été publié dans le livre On Death édité par Humble Arts Foundation et Kris Graves Projects...
03 juin 2025   •  
Écrit par Milena III
Les coups de cœur #545 : Rose Guiheux et Maksim Semionov
Melvin and Milan's room, 2024 © Rose Guiheux
Les coups de cœur #545 : Rose Guiheux et Maksim Semionov
Rose Guiheux et Maksim Semionov, nos coups de cœur de la semaine, explorent l’individu dans son rapport à l’autre et à l’espace. Abordant...
02 juin 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Vincen Beeckman s’invite à Marseille
© Vincen Beeckman
Vincen Beeckman s’invite à Marseille
Pendant sept semaines, au fil de plusieurs séjours, Vincen Beeckman a sillonné la ville, non pas comme un touriste ni même un photographe...
14 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Le souffle de la mémoire traverse le parcours Art et Patrimoine en Perche 2025
© Mathilde Eudes
Le souffle de la mémoire traverse le parcours Art et Patrimoine en Perche 2025
Jusqu’au 3 août 2025, le parcours Art et Patrimoine en Perche #06 place la création contemporaine au cœur de cette région verdoyante....
13 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Alex Bex révèle la sensibilité des cowboys texans
Rodeo Intermission, de la série Memories of Dust © Alex Bex, France, 3rd Place, Professional competition, Documentary Projects, Sony World Photography Awards 2025.
Alex Bex révèle la sensibilité des cowboys texans
Avec sa série Memories of Dust, le photographe franco-texan Alex Bex ébranle les codes de la masculinité dans les ranchs de cowboys au...
13 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Ilanit Illouz au bord de l'Etna
© Ilanit Illouz
Ilanit Illouz au bord de l'Etna
Le Studio de la MEP présente Au bord du volcan, une exposition d'Ilanit Illouz. Cette expérimentation visuelle et plastique à partir de...
12 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina