Dans l’obscurité de la nuit, un être danse. La puissance de son élan, son infime tremblement et son souffle habillent la profondeur de l’espace. Tout cela, Ella Bats le capture en une formidable chorégraphie photographique. « Avec Song Blues, j’ai voulu parler du corps qui s’exprime lui-même sans langage », confie-t-elle. Après l’explosion de couleurs de ses premiers travaux, sa nouvelle série explore la luminescence des choses. L’artiste emploie ici des tonalités sombres, doucement satinées. « J’ai désiré travailler sur ces zones de chaleur qui circulent à l’intérieur de soi. Explorer la matière vivante et vibrante du corps », explique-t-elle. Avec la peinture et le maquillage phosphorescent qui parcourent la peau du modèle, son œuvre graphique – avec ses liés et déliés, ses pleins et ses vides contradictoires redessine les frontières entre l’intérieur et le hors de soi.
Diplômée de Gobelins Paris et des Arts appliqués, Ella Bats, la trentaine, se définit comme photographe. « Je tiens cependant à dire que j’ai une nouvelle vision du médium, que j’explore de façon détournée grâce à ma formation en peinture », déclare-t-elle. Cette passionnée de musique et de graphisme, « en perpétuelle recherche de rythme entre les sens, les formes, les nuances et les lignes sinueuses », s’oriente au fil du temps vers l’abstraction. Sa matière première, ce sont les corps, leurs vibrations et leurs ondes qui font rayonner lumière et couleurs. Les formes qu’elle sonde et retouche numériquement – par superposition, multiplication et fusion – deviennent les métaphores visuelles de la libération de soi. Inspirée par des légendes de la danse contemporaine telles que Pina Bausch ou Ohad Naharin, la jeune autrice laisse son modèle « vibrer de lui-même librement », et s’abandonne elle-même à une sorte de méditation par la création.
Ella Bats inspecte l’invisible et le symbolique – la lumière et les ténèbres à l’intérieur de nous, l’émanation de nos émotions et de nos sentiments. Si pour sa série précédente Adam & Adam, la référence biblique était évidente, le blues ici mis en scène n’en est pas moins empreint de mysticisme et de spiritualité. Pouvez-vous sentir le feu et la marée, la roche et la forêt, le vent et le sable danser en nous-mêmes ? Song Blues nous rappelle combien nous sommes proches de la guerre et de la paix, que les éléments se livrent bataille depuis des millénaires, et que tout cela nous l’éprouvons dans notre corps.
En 2021, un article sur les premières séries d’Ella Bats paraissait dans Fisheye n°49. « Voir quelqu’un poser des mots sur mon travail rendait mes projets plus réels », confie-t elle. Depuis, elle a multiplié sa présence aux festivals (MAP et Hyères), aux salons de mode (Tranoï Women March), et a exposé dans des espacescomme la Samaritaine. Parfois conçues dans des formats géants, ses images sont pensées dans l’espace et dans leur porosité avec les autres médiums, comme la peinture ou le design. Son dernier solo show est présenté à la Ellia Art Gallery, à Paris (jusqu’au 30 août), et la jeune artiste prépare également une nouvelle série inspirée par le paysage et la corporalité, en duo avec laphotographe Alice Tremblot.