Jusqu’au 21 septembre 2025, le Mrac Occitanie à Sérignan accueille l’exposition Êtes-vous triste ?, une exploration délicate de l’univers de Sophie Calle. À travers un savant mélange de textes et de photographies, l’artiste interroge les émotions humaines et brouille les frontières entre réalité et fiction. Ce parcours sensible dévoile des fragments de vie à la fois poignants et légers.
L’exposition Êtes-vous triste ? au Mrac Occitanie invite à découvrir l’univers unique et subtil de Sophie Calle. Le titre provient d’une question poignante extraite de son texte La Visite médicale. Dans ce passage, l’artiste raconte une expérience banale : une visite médicale précédée d’un long questionnaire. Au milieu de données factuelles sur la santé physique surgit soudain la question : « Êtes-vous triste ? »
Depuis la fin des années 1970, Sophie Calle déploie un travail artistique à la fois conceptuel et profondément narratif, mêlant avec une précision remarquable texte et photographie pour créer des récits où chaque mot est choisi avec soin. Ses histoires, toujours ancrées dans le réel, oscillent entre légèreté, humour, gravité et parfois cruauté, dessinant ainsi les fragments d’une vie en constante évolution, un véritable work in progress. En brouillant délibérément les frontières entre l’intime et le public, la réalité et la fiction, l’art et la vie, elle invite les spectateur·ices à s’interroger sur la nature même de l’expérience humaine et de la mémoire. Reconnue internationalement, Sophie Calle a exposé dans des institutions majeures telles que le Palais de Tokyo, le Centre Pompidou, la Whitechapel Gallery à Londres ou encore le Museum of Contemporary Art à Tokyo. Lauréate du prestigieux prix Hasselblad en 2010, elle a reçu, en 2024, le Praemium Imperiale, souvent considéré comme le Nobel des arts, récompensant ainsi une œuvre singulière, engagée et universelle, qui continue de fasciner les publics et les institutions du monde entier. Ses œuvres sont aujourd’hui conservées dans des collections prestigieuses, du Metropolitan Museum of Art au San Francisco Museum of Modern Art, témoignant de l’impact durable de sa démarche artistique.
Le lexique des émotions
Dans cette exposition, Sophie Calle choisit d’explorer des thématiques qui lui sont centrales, telles que la privation du regard ou la disparition, en utilisant archives et écriture comme sources et matières premières de sa création. Au cœur de sa démarche artistique, elle place le lexique des émotions, en particulier les nuances subtiles de la tristesse, de la vulnérabilité et de la douleur. C’est cette exploration méticuleuse et complexe des souffrances humaines qui structure son travail, révélant autant la fragilité que la résilience. Dans La Visite médicale (2002), partie de la série Autobiographies (1988-2025), elle transforme une expérience ordinaire en question existentielle : face à un questionnaire médical de six pages, elle répond « non » à tout, sauf à une interrogation inattendue et bouleversante : « Êtes-vous triste ? »
Ce questionnement résonne avec Douleur Exquise, un projet né d’une expérience personnelle de rupture. Après trois mois passés au Japon en 1984, Sophie Calle vécut une séparation qu’elle ressentit comme le moment le plus douloureux de sa vie. Ce voyage, dans son esprit, marqua le début d’un compte à rebours menant à cette inéluctable fin. De retour en France, le 28 janvier 1985, elle décida de conjurer sa douleur en racontant sa souffrance plutôt que son périple. En parallèle, elle interrogea ami·es et inconnu·es : « Quand avez-vous le plus souffert ? » Elle poursuivit cet échange de récits jusqu’à relativiser sa peine face à celles des autres, ou jusqu’à s’épuiser à raconter sa propre histoire. Cette méthode radicale porta ses fruits : en trois mois, elle cessa de souffrir. Après un temps d’oubli, quinze ans plus tard, elle exhuma ce projet, devenu une œuvre majeure de son parcours. Pour Êtes-vous triste ?, les éditions Actes Sud ressortent ce volume dans une nouvelle édition. La série de portraits frontaux qui compose l’expostition au Mrac Occitanie déploie une poésie singulière, où chaque visage devient le reflet sensible de vibrations intérieures, faisant vaciller de façon imperceptible la frontière entre douleur et beauté.
284 pages
31 €