Still Life : Kate Sterlin et les complexités de l’identité métisse

16 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Still Life : Kate Sterlin et les complexités de l’identité métisse
© Still Life by Kate Sterlin publié par Anthology Editions
Photographie en noir et blanc de Kate Sterlin montrant une jeune femme avec un masque
© Still Life by Kate Sterlin publié par Anthology Editions

Photographe et écrivaine établie à Los Angeles, Kate Sterlin consigne des années de vie dans Still Life, un beau-livre paru en octobre aux éditions Anthology. Au fil des pages se découvrent une étude poétique et profonde autour de l’identité et de l’importance de s’ériger des repères. 

La pandémie de Covid-19 semble désormais lointaine. Pourtant, les projets qu’elle a fait germer émergent encore tant elle nous a offert le temps de faire l’inventaire de nos expériences de vie, de nous livrer à une introspection parfois créatrice. « C’était une période très émotionnelle, de peur sans précédent. Cela m’a permis de m’ouvrir, car je n’avais jamais fait ces recherches jusque-là. Cela s’est fait de manière organique », témoigne ainsi Kate Sterlin, qui a profité des confinements pour s’adonner à un travail qu’elle souhaitait réaliser depuis longtemps. L’artiste américaine a tour à tour immortalisé ses enfants et son compagnon avant de se plonger dans ses archives argentiques afin de rassembler les réminiscences. Puis est venu le moment de poser des mots sur les clichés. « Il s’agit d’une exploration avec les deux médiums. Avec l’écriture, j’ai essayé de faire remonter les souvenirs à la surface et de les transformer en quelque chose qui n’est pas une blessure, mais une cicatrice, quelque chose que l’on peut partager. Avec les images aussi, je suis revenue en arrière et j’ai regardé qui j’étais à 15 ans, à 25 ans, à 35 ans… On se rend alors compte que l’on continue à se développer et que ces tirages résultent de ce que l’on a décidé d’imprimer. J’étais assez puriste dans ma façon de photographier, mais je n’ai jamais rien jeté. J’ai pu constater l’évolution des choses, de moi-même… », explique-t-elle.

Éditions Anthology
192 pages
45 €
Photographie en noir et blanc de Kate Sterlin montrant des enfants se promenant
© Still Life by Kate Sterlin publié par Anthology Editions
Photographie en noir et blanc de Kate Sterlin montrant une femme allongée, l'air pensif
© Still Life by Kate Sterlin publié par Anthology Editions
Photographie en noir et blanc de Kate Sterlin montrant un repas de famille
© Still Life by Kate Sterlin publié par Anthology Editions

Écrire et photographier pour se créer des repères

De ses itérations est né Still Life, un ouvrage paru ce mois-ci aux éditions Anthology. Au fil des pages se dessine un récit onirique, comme une plongée dans la mémoire de l’autrice. Les liens de parenté, les idylles, les amitiés et les tragédies se juxtaposent. La douceur de moments tendres se heurte à la réalité, parfois brutale. « Ce sont les deux faces d’une même pièce : l’intimité et l’amour, puis la perte. Je m’inquiète beaucoup, et l’inquiétude, c’est de savoir que l’on aime tellement quelque chose que l’on ne veut pas le perdre. Vouloir préserver quelque chose n’est d’ailleurs pas anodin », souligne Kate Sterlin. De fait, l’ensemble de ces monochromes donne à voir les complexités de l’identité métisse aux États-Unis et suggère les disparitions qui surviennent au cours d’une vie. « Mon père est noir et d’origine haïtienne, il a immigré aux États-Unis quand il était encore bébé, et ma mère est britannique. Mes parents sont nés dans les années 1940 et se sont épousés au début des années 1970, en Californie, soit peu de temps après que le mariage mixte a été légalisé. C’était une époque très différente et, en même temps, ce qui arrive est cyclique. On observe certains rétropédalages, ces derniers temps, dans les droits civils et raciaux, dans les droits des femmes, des personnes LGBTQIA+… », énumère-t-elle. 

Dans sa jeunesse, Kate Sterlin n’a jamais eu l’occasion de s’ancrer quelque part. « J’ai toujours pensé que ma volonté de préserver les souvenirs et d’arrêter le temps était liée à la maladie de mon père, lorsque j’étais enfant, et ma réaction aux habitudes de déménagement obsessionnelles de ma mère : chaque année, partir, s’enfuir », confie-t-elle sur l’une des pages. De New York à Los Angeles, ses compositions retracent ses itinérances. Ses poèmes essaiment des éléments de contexte et reviennent sur les évènements qui ont bouleversé le cours de son existence. La photographie comme l’écriture lui ont ainsi permis de se créer des repères et de déployer, à terme, sa propre narration. « Je ne suis jamais restée assez longtemps au sein d’une même communauté pour raconter son histoire. Je suis un mélange de beaucoup de choses, et comprendre qui je suis, ce que je veux est le travail d’une vie, un processus de longue haleine, toujours en cours », assure-t-elle. Plus qu’un album personnel, Still Life s’impose parmi ces ouvrages qui, par leur profondeur, touchent à l’universel. Les émotions se révèlent avec pudeur et se distillent dans les esprits songeurs. « C’est à celui ou celle qui le parcourt de faire sa propre expérience », conclut l’artiste d’un sourire bienveillant.

Photographie en noir et blanc de Kate Sterlin montrant une femme qui nage
© Still Life by Kate Sterlin publié par Anthology Editions
Photographie en noir et blanc de Kate Sterlin montrant une femme dans la rue avec ses enfants, dont l'un est sur son dos
© Still Life by Kate Sterlin publié par Anthology Editions
Photographie en noir et blanc de Kate Sterlin montrant une personne à contre-jour
© Still Life by Kate Sterlin publié par Anthology Editions
À lire aussi
Première rétrospective mondiale de Mary Ellen Mark, portraitiste sociale acharnée
© Mary Ellen Mark. La famille Damm dans sa voiture, Los Angeles, California, 1987. Avec l’aimable autorisation de The Mary Ellen Mark Foundation / Howard Greenberg Gallery
Première rétrospective mondiale de Mary Ellen Mark, portraitiste sociale acharnée
Photographe et portraitiste engagée, Mary Ellen Mark (1940-2015) était profondément captivée par la vie de tout un chacun. Ses aventures…
05 juillet 2024   •  
Écrit par Milena III
Words from Dad : Laura Chen déforme les souvenirs pour trouver son identité
© Laura Chen
Words from Dad : Laura Chen déforme les souvenirs pour trouver son identité
Glitchs argentiques, archives brodées, souvenirs découpés, déconstruits et recomposés… Pour réaliser Words from Dad, Laura Chen s’est…
07 juin 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas

Explorez
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Jeune amour, 2024 © Nan Goldin. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Gagosian.
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Ce mardi 8 juillet, Nan Goldin a reçu le prix Women in Motion au Théâtre Antique d’Arles, qui affichait complet. À cette occasion...
11 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Erica Lennard : « L'amitié féminine était une réalité que nous vivions pleinement »
Elizabeth, Californie, printemps 1970. © Erica Lennard. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / La Galerie Rouge.
Erica Lennard : « L’amitié féminine était une réalité que nous vivions pleinement »
Erica Lennard présente Les Femmes, les Sœurs à l’espace Van Gogh dans le cadre de la 56e édition des Rencontres d’Arles. L’exposition est...
11 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Andrea © Ainhoa Ezkurra Cabello
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella, nos coups de cœur de la semaine, saisissent l’intime, les corps et les relations aux...
07 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nous autres, une ode à l'amitié et à la mémoire queer
Autoportrait avec JEB, E. 9th Street, New York, 1970 © Donna Gottschalk, Courtesy de l’artiste et de Marcelle Alix
Nous autres, une ode à l’amitié et à la mémoire queer
Avec Nous Autres, Donna Gottschalk et Hélène Giannecchini avec Carla Williams, présentée jusqu’au 16 novembre 2025, le Bal signe une...
04 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L'esthétique des luttes en photographie
L'arrestation du féroce chef mafieux Leoluca Bagarella, Parlerme, 1979. © Letizia Battaglia
L’esthétique des luttes en photographie
La photographie est un acte délibéré. Sa fabrication n’est qu’une suite de choix, d’exclusion et d’inclusion, de cadrage, de point de...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Os batismos da meia-noite © Joan Alvado
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Le photographe espagnol Joan Alvado compose des essais photographiques où l’étrange, le mythe et la légende s’entremêlent. S’inspirant...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Bleu Comme Une Orange © Lola Cacciarella
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Depuis quatorze ans, les Zooms du Salon de la photo mettent en lumière la création photographique. Cette année, Fisheye soutient le...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
© Claudia Andujar. De la série A Sõnia, São Paulo, SP, vers 1971. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Instituto Moreira Salles
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
Présentée à la Maison des Peintres dans le cadre des Rencontres d’Arles jusqu’au 5 octobre 2025, À la place des autres revient sur...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III