Petit village de 2000 habitants, Grenville-sur-la-Rouge est situé à une heure et demie de Montréal au Québec. C’est là que la photographe Josée Schryer, 35 ans, a grandi. En froid avec son père, elle n’y a pas mis les pieds pendant de longues années. Son amour de la nature l’a finalement poussée à y retourner.
Pendant deux ans, Josée s’est rendue régulièrement dans le village de son enfance pour travailler sur une très belle série intitulée sur-la-Rouge et renouer avec son père. Le projet, très personnel, parvient à aborder avec justesse souvenirs d’enfance, deuil et absence. Pour Fisheye, la photographe en dit plus sur cette série.
FISHEYE / Comment as-tu eu l’idée de réaliser sur-la-Rouge ?
Josée : Elle est née d’une envie incontrôlable de me retrouver à l’endroit où j’ai grandi. Au début c’était la rivière, la montagne et la forêt qui m’appelaient. Je vivais une multitude de sentiments quand je m’y retrouvais et les souvenirs refaisaient surface spontanément. Après une longue séparation avec mon père, je me demandais si j’avais le droit d’y être, s’il était encore fâché, s’il était trop tard pour reconnecter avec lui et si on était si différents après toutes ses années. Passer tout ce temps là-bas à photographier et à explorer est devenu comme une nécessité. Mes intentions ont beaucoup changé en cours de projet, mais mon lien fort avec ce lieu est toujours resté.
Justement, de quelle manière le projet a-t-il évolué ?
Au fil des mois, le passage des saisons qui marque le paysage de façon particulière au Québec provoquait toujours de nouveaux souvenirs. C’est un peu comme si chaque souvenir avait une certaine couleur associée à sa saison. En m’attaquant à l’ouvrage de Proust (À la recherche du temps perdu, ndlr) à ce moment, j’y ai trouvé de nombreuses similitudes. Notamment au niveau de la passion qui semblait le pousser à raconter ses souvenirs de façon détaillée et personnelle. C’est devenu mon inspiration pour éditer et finaliser le projet sous la forme d’un photobook.
Quel message voulais-tu faire passer à travers ces images ?
J’espérais pouvoir y raconter une histoire aussi mélancolique que paisible qui pourrait évoquer les sentiments qui m’ont dominé pendant la réalisation du projet : l’absence, le deuil et la spécificité d’un endroit très important à mes yeux. J’espère que les spectateurs puissent percevoir le temps qui passe, les objets et les lieux que nous gardons en souvenir ainsi que le baume que le temps applique sur nos blessures.
Ton projet est très personnel : comment es-tu parvenue à créer un climat de confiance pour le mener à bien ?
Émotionnellement, ça a été difficile de construire des ponts et de briser des barrières pour pouvoir créer les images. Avec le temps, j’ai dû provoquer des situations inconfortables pour avoir des résultats. L’excuse de la caméra a été mon petit courage en boite! J’ai commencé à me présenter chez mon père sans m’annoncer, j’ai marché de longues heures sur sa terre dans la montagne sans demander la permission de passer. Tout ça à un moment fragile où j’ignorais complètement comment se termineraient ces initiatives. De Montréal, je devais faire environ 1h30 de route, ne sachant jamais si j’arriverais à prendre de bonnes photos. Heureusement, chaque effort a été récompensé. J’ai fini par louer un chalet à cinq minutes de chez mon père trois à quatre jours par semaine et j’ai eu l’immense plaisir de l’entendre à son tour cogner à ma porte pour de simples visites.
Tu as fait des études de photo ?
Oui j’ai complété un baccalauréat (l’équivalent d’un bachelor, ndlr) en beaux arts à l’université Concordia, à Montréal au Québec, avec une mineure en histoire de l’art et une majeure en photographie et j’ai obtenu une maîtrise en beaux arts (photographie) à l’université de Hartford, au Connecticut.
Pourquoi as-tu voulu devenir photographe ?
Je crois que ce qui me fascine dans la photographie c’est l’intensité avec laquelle on a tendance à croire ce que l’on voit. Même avec l’ère numérique et avec la connaissance des logiciels de retouche, l’impact que peut avoir une photo sur nos émotions reste important. Comme je m’intéresse beaucoup au folklore et que j’aime la littérature, j’y ai trouvé beaucoup de potentiel pour raconter des histoires. J’aime qu’avec un peu de mystère, chaque spectateur puisse y ajouter ses propres références, sa propre interprétation.
Tu travailles actuellement sur un nouveau projet, peux-tu nous en dire plus ?
Je débute un projet photographique sur l’idée du nord, sur ses histoires, légendes et communautés. Je suis aussi co-fondatrice du Photobook Club – Montréal alors je travaille constamment à l’organisation d’activités et de discussions qui tournent autour du photobook en tant qu’objet d’art.
Pour finir, peux-tu décrire ton travail en trois mots ?
Mémoire, lieu, fiction.
Propos recueillis par Hélène Rocco
En (sa)voir plus
→ Son site web
→ Pour commander le photobook Sur-la-Rouge
→ Le site du PhotoBook Club de Montréal
( via Fotografia )