Sur les feuilles, délicates, aériennes, des mains exécutent comme une danse, la peau traversée par les nervures végétales. Plus loin, ce sont des photos de famille qui semblent pixelisées, puis s’évanouissent progressivement, absorbées par une matière vivante – du cresson. Le chapitre suivant donne à voir la naissance et le développement d’une feuille, dont les images quasi abstraites, traversées par une tige d’un vert vif et profond, éclatent de vie. Enfin se déroule sous nos yeux la mue d’un poinsettia, du vert de l’été au rouge de l’automne, avant le printemps où il se défait de sa luxuriante parure blanche pour recommencer le cycle.
Sur la couverture de The Pigment Change figure bien un nom d’autrice : Almudena Romero. Mais comme elle le dit elle-même, les artistes et créatrices de ce travail, ce sont les plantes. Et ce livre sonne comme un manifeste. À travers une recherche menée en partie dans le jardin de sa grand-mère, dans des contreforts montagneux d’Espagne où elle a installé son atelier, et mue par ses convictions, voire une approche radicale, Almudena Romero nous invite à une réflexion sur les fondements, les fonctionnements et l’avenir incertain de nos sociétés dans un contexte d’économie globale, de réchauffement climatique et d’anthropocentrisme. En partant de la démarche qui consiste à mettre au jour le potentiel artistique des plantes et leur intelligence, elle balaie tout un éventail de questionnements : la position dominante que l’homme s’arroge par rapport aux autres espèces, notre cécité face au monde végétal, l’impact écologique et sanitaire du processus photographique traditionnel, la finalité muséale, l’écoanxiété, jusqu’au geste politique que représente le choix de la non-parentalité.
De « The Act of Producing » à « Faire une photographie », en passant par « Family Album » et « Offspring », les quatre chapitres composant The Pigment Change visent à nous faire prendre conscience de la catastrophe climatique à travers le prisme de l’art – ses moyens de production, comme le concept d’œuvre pérenne. Pour Almudena Romero, l’heure est aux matériaux non toxiques et à l’éphémère, qui mettent celui ou celle qui regarde face à l’impermanence du monde et s’opposent à la marchandisation. S’inspirant des capacités d’adaptation et des stratégies de reproduction des plantes – dont certaines cessent de se multiplier dans un contexte hostile –, militant pour la reconnaissance de l’intériorité des espèces non humaines ou animales, activiste par sa décision de reconnaître que le désastre écologique a débuté et donc de renoncer à être mère, Almudena Romero raconte comment ses recherches sur les plantes ont changé son regard sur sa pratique. Étayé par les échanges engagés avec la biologiste Monica Gagliano, le philosophe Michael Marder, le conservateur Martin Barnes et la psychothérapeute Caroline Hickman, son propos nous invite à déplacer le nôtre.
Cet article, rédigé par Carole Coen, est à retrouver dans notre dernier numéro, disponible ici.
308 pages
65€ – 120€