«The Place of No Crows», la Bulgarie des oubliés

24 janvier 2022   •  
Écrit par Julien Hory
«The Place of No Crows», la Bulgarie des oubliés

Avec la série The Place of No Crows, Daniel Court témoigne du délabrement de la Bulgarie rurale. Le photographe britannique témoigne d’un pays miné par les crises démographiques et économiques. Voyage dans une région comme oubliée de l’Union européenne.

Depuis le 1er janvier, la France a pris la présidence du Conseil de l’Union européenne, l’une des principales institution de l’U.E. Sans dresser de bilan, force est de constater que le vieux continent a traversé, ces dix dernières années, nombre de tempêtes et de remodelages. De la tension migratoire à la pandémie COVID-19 en passant par la crise financière de 2008 et la poussée des nationalismes, les 27 États membres n’ont pas été épargnés. Ces mauvais coups de l’histoire ont fait naître des disparités évidentes entre les pays de l’U.E. Le clivage est-ouest s’est accru et les différentes politiques intérieures ont mis en lumière des visions devenues divisions. Nous assistons çà et là à une défiance croissante envers les institutions et une montée en puissance des eurosceptiques.

Parmi eux, Roumen Radev, président en exercice de la Bulgarie. Ce pays balkanique, bordé par la mer Noire, a vécu au rythme des conquêtes, et des péripéties. Et sa période contemporaine ne fait pas exception. Entre les multiples problèmes économiques, une criminalité endémique, et une instabilité politique qui inquiètent l’ouest, le pays semble sous perfusion. Au centre de ces principales préoccupations : l’importante crise démographique que subit le pays depuis la chute de l’U.R.S.S. en 1991. C’est celle-ci qui a poussé Daniel Court à traverser la Bulgarie et à dresser un portrait des zones rurales désertées. Dans sa série The Pace of No Crows, le photographe britannique, installé à Helsinki, témoigne du délabrement des villages et rend hommage aux habitants de ces régions oubliées.

© Daniel Court

D’autres horizons

Ce périple, mené en plusieurs voyages, a commencé en 2016 presque par hasard. « Peu après le début de mes études du 8e art, se souvient Daniel Court, j’ai lu un article qui montrait que la Bulgarie connaissait la plus faible croissance démographique du monde (aujourd’hui : -0,78%, NDLR). Mais les statistiques me paraissaient absurdes. M’étant lié à un étudiant bulgare, nous avons évoqué la question et avons décidé de parcourir la Bulgarie ensemble pour nous en rendre compte. Je n’avais aucune idée, avant ce premier voyage, que le sujet se transformerait en un objet beaucoup plus vaste ». Il tombe alors sous le charme du pays et des ses habitants. Il trouve sur place un accueil très hospitalier qui lui permet de mener à bien son projet navigant au gré des récits et des recommandations.

Très vite, il fait le constat d’une population vieillissante. Entre un taux de natalité extrêmement faible et un haut taux de mortalité, la Bulgarie semble enlisée dans cette rupture générationnelle. Mais un autre facteur aggrave cette situation déjà tendue : l’attrait de l’Europe occidentale. « Dans les campagnes que j’ai visitées, il n’y a presque pas de jeunes, explique le photographe. Ceux que j’ai pu rencontrer à Sofia, la capitale, ont des opinions bien différentes de celles de leurs aînés. La jeune génération voit davantage de démocratie et de liberté à l’étranger. Alors il quitte le pays pour étudier ou travailler ». Attirée par la vie plus douce que leurs compatriotes disent avoir construite ailleurs, une grande partie de la jeunesse restée au pays rêve d’autres horizons.

© Daniel Court

La désunion européenne

Les complications successives qu’a connues la Bulgarie à la suite de l’effondrement du régime communiste ont accentué la fracture entre les générations. « Il ne fallait jamais bien longtemps pour qu’une conversation  se tourne vers le passé communiste de la Bulgarie, explique Daniel Court. Beaucoup de personnes âgées sont nostalgiques de cette époque. Toujours avec le même argument : sous le communisme, les gens avaient un emploi. Quand tout ça a pris fin, l’industrie s’est écroulée et le chômage de masse s’est installé. » L’achèvement de ce régime totalitaire a aussi permis aux Bulgares de découvrir le mode de vie « à l’occidentale » et l’émergence d’une société de consommation jusque-là inconnue. Cependant, malgré le ralliement de la Bulgarie à l’Union européenne, une forme d’amertume a gagné une frange de la nation.

« Au début, beaucoup de personnes ont pensé du bien de l’adhésion, notamment de la libre circulation, analyse le photographe. Mais peu à peu, un ressentiment grandissant envers l’U.E. a pris place. Les gens ont l’impression qu’on leur a donné de faux espoirs et fait des promesses sans lendemain. Au final, ce ralliement n’a pas eu l’impact escompté sur la vie quotidienne de ceux qui vivent à la périphérie des villes ». Cette critique mérite d’être entendue. Aux vues des évolutions alarmantes du paysage politique des divers pays membres, du repli sur soi de certains d’entres eux et de la mainmise d’une minorité de dirigeants, le cas de la Bulgarie n’est pas isolé. Depuis la création de l’U.E., les garanties de paix se trouvent plus que jamais menacées. Il convient alors, pour ceux qui défendent le projet européen, d’agir et de faire en sorte qu’il ne se transforme pas en celui de la désunion.

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© Daniel Court

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