Pendant sept semaines, au fil de plusieurs séjours, Vincen Beeckman a sillonné la ville, non pas comme un touriste ni même un photographe en quête d’exotisme urbain, mais comme un invité, un marcheur curieux, porté d’un canapé à l’autre par la générosité marseillaise. Son livre Marseille, à la fois carnet de bord visuel et roman d’amitiés improvisées, est une ode douce et solaire à la cité phocéenne, à celles et ceux qui l’habitent.
Quand il arrive pour la première fois à Marseille, Vincen Beeckman ne connaît rien ou presque de la ville. Mais ce photographe belge, plus habitué aux nuances grises de Bruxelles – où il vit – qu’à la lumière crue du Vieux-Port, tombe rapidement sous le charme de la chaleur locale. Cette belle histoire commence par une invitation du ZEF, un théâtre situé dans le nord de Marseille qui lui demande d’investir leur espace d’exposition. Il imagine alors une idée simple en apparence : « que les Marseillais·es me montrent leur ville. » Une première semaine durant, un·e habitant·e l’accueille, lui fait découvrir son quotidien, puis le confie au suivant, comme une sorte de chaîne humaine où chaque maillon est une aventure. Séduit par cette première expérience, il revient à plusieurs reprises, porté cette fois par les ateliers Jeanne Barret qui lui offrent l’opportunité de prolonger cette résidence. Un dentiste de la prison des Baumettes, une joueuse de loto, un bodybuilder, un inventeur d’escape games ou encore un boxeur au grand cœur… Les rencontres se multiplient, mais ne se ressemblent pas, à un détail près : elles enrichissent toutes, sans exception, le projet visuel profondément humain de Vincen Beeckman. « J’utilise la photographie comme un moyen de communication », explique l’artiste. Le médium ne lui permet donc pas de saisir la beauté figée d’un lieu, mais de révéler les personnes qui l’animent. Dans cet ouvrage intitulé sobrement Marseille, il devient témoin de plusieurs bribes de vie et nous emmène au cœur de la ville, à sa manière, aussi décousue que colorée et généreuse.
Lumière crue, cœurs tendres
« Dans mon paysage quotidien, je ne suis pas habitué à la lumière, mais à des teintes très grisées », plaisante Vincen Beeckman. Alors forcément, dans cette ville où même les murs et le sol semblent transpirer la chaleur, son regard s’adapte. Les couleurs explosent. « Dès qu’une couleur surgit, elle m’éblouit », explique-t-il. Il délaisse ainsi le flash et se laisse guider par les reflets, les ombres et la peau cuivrée. Marseille n’a pas de fil narratif classique. L’ouvrage suit le fil d’inconnu·es. Un patchwork sensible et joyeusement chaotique, à l’image de la ville elle-même. Parmi tous ces récits récoltés, l’un d’eux l’a particulièrement marqué. Il s’agit de cette histoire surréaliste du bateau funéraire qui permet de disperser les cendres des défunt·es à proximité du château d’If, au Frioul. « Beaucoup de Chinois·es vont là-bas, car Mao Zedong adorait Le Comte de Monte Cristo. Iels s’identifient à cette histoire et viennent jusqu’ici avec des cendres en l’honneur de ce livre », raconte le photographe. Un bateau pour le peu insolite qui accueille également des enterrements… de vie de jeunes filles et garçons.
Dans cette cité trop souvent caricaturée, notamment au sujet de ses quartiers nord, Vincen Beeckman a découvert une humanité bouillonnante et une chaleur inégalable. Et c’est bien ça, la force du livre. Un hommage sans folklore ni misérabilisme, un recueil de visages et de voix, comme une conversation entamée sur un banc, qu’on n’a pas envie de terminer. Et si vous ne savez pas par où commencer la visite de Marseille, suivez le conseil de Vincen Beeckman : « Marchez et parlez aux gens. » Tout simplement.