Ne pas sombrer dans les clichés folkloriques d’une Bolivie peuplée de lamas et de cholitas, sans renier ses racines : voilà le leitmotiv qui anime River Claure dans son projet Warawar Wawa. Utilisant en toile de fond l’histoire du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, le jeune photographe bolivien propose une vision alternative et moderne de l’identité culturelle de son pays.
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux », dit le renard au Petit prince. C’est par cette formule allégorique qu’on pourrait introduire le travail de River Claure. Originaire de Cochabamba, une ville de Bolivie centrale, le photographe grandit dans une famille catholique très pieuse mais dont les ancêtres sont d’ascendance Aymara, un peuple précolombien présent dans les Andes. Ce n’est que lorsqu’il part s’installer à Madrid où il poursuit un master en photographie, qu’il prend conscience de l’ambivalence de son identité, qui alimentera sa démarche artistique.
Comme une énigme à déchiffrer
Sa série Warawar Wawa (Le Fils des Étoiles en aymara, ndlr) revisite le livre d’Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, conte philosophique indémodable datant de 1943. « Je recontextualise cette histoire dans les paysages quasi extraterrestres des Andes où l’enfant, personnage principal, porte un maillot du FC Barcelone », introduit le photographe. Surjouant des symboles, mariant avec malice ancestral et moderne, natif et étranger, River Claure nous mène dans un jeu de piste où chaque image devient une énigme à déchiffrer. Ici, on suit Warawar Wawa cherchant sa rose, unique et bien-aimée, parmi celles fleurissant des tresses des cholitas. Puis on tombe sur un mouton, non pas dessiné mais marqué d’un rouge sang, évocateur de quelques rites sacrificiels. Avant de rencontrer un Yatiri andin, guide spirituel lisant l’avenir dans un casque de réalité virtuel. « Le Petit Prince m’a permis de jouer, de faire allusion à l’enfance, de produire plus formellement des images chaleureuses et colorées. Ce projet est mon voyage à travers ces territoires imaginaires », confie-t-il.
Une remise en question du white gaze
Le photographe puise son inspiration dans ses racines tout en jouant avec les codes de la culture occidentale et capitaliste, qui infuse la société bolivienne depuis la colonisation du continent. Ce concept de syncrétisme porte un nom en aymara, « chi’xi », qui peut se traduire par « gris », bien qu’il s’agisse plus d’une couleur indéterminée faisant référence à une technique de tissage où deux coloris s’assemblent en donnant l’illusion d’en créer un troisième. « Silvia Rivera Cusicanqui a été la première à utiliser ce concept en sociologie culturelle. Elle parle de cultures contradictoires, mais en même temps complémentaires, et c’est ce qui m’intéresse, le bigarré, les choses qui coexistent au même endroit, au même moment, mais qui sont disparates », explique River Claure. Sa démarche s’inscrit parfaitement dans les débats de notre époque, où la remise en question du white gaze et la réappropriation par les communautés en marge de leurs propres récits, est devenue primordiale. Il revendique une photographie bolivienne sur la Bolivie, à contre-courant des images ethnologiques ou exotisantes qui fleurissent sur les réseaux.