Enfermement des corps et des pensées, représentation des identités, détermination et contrôle des langages, soin par les plantes, la musique et la couleur, économies parallèles, aliénation et résistance… À partir d’expériences intimes, l’œuvre de Mohamed Bourouissa, présentée au Palais de Tokyo, dresse des récits collectifs puisés aux racines de l’amertume (seum, en arabe). Cette première rétrospective dans une institution nationale est l’occasion de déplier le travail de l’artiste, de ses productions les plus récentes à ses débuts, incluant des créations d’artistes ami·es, comme autant de sursauts dans le temps, sans se soucier d’être exhaustif ou chronologique. Comme la terre lui est étroite, l’exposition réunit plusieurs géographies, de Blida, en Algérie, ville natale de l’artiste, où le psychiatre et écrivain Frantz Fanon a développé une analyse de l’aliénation mentale au cœur des dominations coloniales, à Gennevilliers, où l’artiste vit et est très actif localement, en passant par Fletcher Street (Philadelphie) et sa communauté de cow-boys noirs jusqu’au ciel de Gaza.
Animé par une logique du disparate, Mohamed Bourouissa étire les langages, les références intimes et collectives, les formes et les esthétiques, pour provoquer des écarts, des renversements, des tensions, créant un tiers-espace, entre jardin hanté et organisme vivant, dicté par le trouble. L’exposition est pensée comme une partition de sons, de dessins, de photographies, de films, de sculptures, d’aquarelles, de plantes, de musiques expérimentales et d’énergies collectives. Du cri au silence en passant par le murmure des fantômes du colonialisme, elle nous confronte à une certaine fréquence atmosphérique du sensible, toujours en alerte. Une tentative d’échapper à ce qui nous intoxique. À voir en urgence au Palais de Tokyo, avant le 30 juin prochain !