Mars 2022

Fisheye Magazine #52 Signes — 表徴

Fisheye Magazine #52 Signes — 表徴

S’atteler à un numéro spécial Japon n’est pas une démarche instinctive. Surtout en matière de photographie. Il faut déjà accepter que les rapports au monde, la conscience, aux objets, la nature ou aux relations humaines soient différents de tout ce que l’on connaît. Il s’agit d’oublier ce que l’on suppute. Notamment la prétendue grandeur de la photographie japonaise grâce à la force de leur industrie en matière d’appareil, la célébrité de leurs grands maîtres tels Araki, Hosoe, Moriyama, Sugimoto ou Ueda ou alors l’importance de leur édition. La photo n’est en rien un art consacré au pays du Soleil-Levant. Y parler de photographie, c’est comprendre qu’aucun auteur n’est prophète en son pays et que la reconnaissance est toujours venue de l’étranger. On peut ainsi découvrir des artistes qui poursuivent une quête photographique majeure depuis des années sans que le vent du succès ne leur ait jamais caressé le visage. Rien n’est évident lorsque l’on se lance dans la folle aventure de devenir artiste photographe au Japon. Outre l’amour inconditionnel que je voue à ce pays, sa culture, ses arts martiaux ou sa nourriture, j’ai eu la chance de devenir ami avec un photographe nippon. Il s’agit de Akihito Yoshida. Nous nous sommes retrouvés par hasard voisins lors d’un trajet en bus de cinq heures dans le fin fond de la Chine. Son histoire, son approche, sa sensibilité  m’ont ému au-delà du raisonnable. Il parlait du travail au long cours sur la relation de sa grand-mère avec son cousin qu’elle avait élevé. Jamais je n’avais senti un tel instinct pour capter la chose humaine, surtout face à une histoire à la fin si funeste : son cousin s’est suicidé. Nous nous sommes revus de nombreuses fois à Kyoto, Tokyo ou Paris. À chaque fois, sa gentillesse, son humilité et sa conviction inébranlable m’ont saisi au plus profond. Je me souviens d’une soirée à boire des bières au bord de la rivière Kamo avec des amis à lui à Kyoto. L’alcool aidant, un de ses camarades m’avait raconté le respect qu’il avait pour Akihito. Tous les deux avaient suivi une formation d’instituteur. Une carrière que son ami poursuivait et qu’Akihito avait quittée pour se consacrer à la photographie. Une folie qui lui valait le statut de héros. Pourtant Akihito a été publié et exposé dans de nombreux pays, connaît un vrai succès et mène de nombreux projets en parallèle. Mais au Japon, sa démarche semble relever de la pure démence. C’est dans ce contexte que nous avons voulu célébrer ces nouveaux auteurs japonais pour le 10e anniversaire du festival Kyotographie – dont un tiré à part joint à ce numéro met en lumière 10 femmes photographes japonaises exposées à cette occasion. Nous avons glissé en profondeur dans les nouvelles écritures et l’histoire du médium de l’Archipel. Loin d’une vision éculée ou redondante d’un Japon en mutation, nous allons au fond de l’âme de ses habitants. Un voyage singulier qui ne laisse pas indemne. Cette quête nous a rappelé ce proverbe japonais : “La vie est une flamme de bougie dans le vent.” Chaque élément de notre existence est éphémère, mais peut-être qu’avec le travail des photographes on peut toucher du doigt l’éternité, une vertu qui pourrait être associée à ce numéro à nul autre pareil.

Nos dernières publications
Voir tous les magazines
Fisheye Magazine #67 : Fiction
Fisheye Magazine #67 : Fiction
« Quand le présent devient anxiogène, le fictif est une échappatoire, une fenêtre sur autant d’univers qu’il est possible d’en créer....
Juillet 2024
Fisheye Magazine #63 Combat
© Thaddé Comar
Fisheye Magazine #63 Combat
« “Même la guerre est quotidienne.” Cette citation empruntée à Marguerite Duras (Des journées entières dans les arbres) nous rappelle à...
Janvier 2024
Fisheye Magazine #62 Songe
© Fisheye Magazine
Fisheye Magazine #62 Songe
« Alors que le monde s’embrase à nouveau pour un bout de terre aux marges de la Méditerranée, cela nous rappelle avec vigueur la...
Novembre 2023
Fisheye Magazine #60 10 ans
Fisheye Magazine #60 10 ans
« Nous y voilà. 10 ans. 60 numéros. 9 000 pages – sans compter les hors-séries et les livres. Plus de 500 portfolios imprimés. 8 000...
Juillet 2023
Sub #02 Ilmatar, Momo Okabe
Sub #02 Ilmatar, Momo Okabe
Développée durant six années, la série Ilmatar, propose d’accompagner la grossesse de la photographe Momo Okabe, démarrée au moyen d’une fécondation in vitro.
12€
Sub #01 Le plus beau jour de ma vie, Jean-Christian Bourcart
Sub #01 Le plus beau jour de ma vie, Jean-Christian Bourcart
Jean-Christian Bourcart propose dans sa série un album familial loufoque et décalé, composé de photos de mariages sauvées de l’oubli.
12€
Christopher Barraja – De chlore et de rosé
Christopher Barraja – De chlore et de rosé
De chlore et de rosé présente cinq étés d’ivresse passés sur la Riviera française. Des images d’insouciance et d’indolence défilent avec un parfum étrange.
40€
Almudena Romero - The Pigment Change
Almudena Romero - The Pigment Change
Dans le travail d'Almudena Romero, pas de pixels ni même de grain, seulement de la chlorophylle. Ainsi, elle forme une œuvre littéralement vivante, mais aussi éphémère.
65€
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Scarlett Coten à la poursuite des masculinités plurielles
© Scarlett Coten. Colton, Austen Texas, USA 2019
Scarlett Coten à la poursuite des masculinités plurielles
Du 24 octobre au 30 novembre, la photographe Scarlett Coten présente pour la première fois à la galerie Les Filles du Calvaire, sa...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Architectes spatiaux
Exposition Back to Dust de Marguerite Bornhauser (2023), scénographie de Bigtime Studio © Marguerite Bornhauser
Architectes spatiaux
Mises en scène spectaculaires, enrichissements visuels, sonores, voire tactiles… Les scénographes contribuent à donner aux œuvres...
24 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Matthieu Gafsou au Centre Claude Cahun : le corps humain face au vivant
© Matthieu Gafsou
Matthieu Gafsou au Centre Claude Cahun : le corps humain face au vivant
Jusqu'au 25 janvier 2025, le Centre Claude Cahun accueille une exposition de Matthieu Gafsou, Est-ce ainsi que les hommes vivent ? qui...
23 octobre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Dans l’œil de Sina Muehlbauer : les visages flous de nos souvenirs
© Sina Müehlbauer
Dans l’œil de Sina Muehlbauer : les visages flous de nos souvenirs
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Sina Muehlbauer. Intriguée par le masque métaphorique que l’on présente au monde – pour cacher...
23 octobre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas