Interview avec Newsha Tavakolian : « Je ne voulais pas regarder la guerre à la télé »

17 juillet 2014   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Interview avec Newsha Tavakolian : « Je ne voulais pas regarder la guerre à la télé »

A 33 ans, Newsha Tvakolian vient de remporter la 5e édition du Prix Carmignac Gestion du Photojournalisme pour son travail sur l’Iran. Cette autodidacte entame sa carrière dans la presse iranienne à l’âge de 16 ans, avant de devenir la plus jeune photographe à couvrir le soulèvement étudiant de 1999 deux ans plus tard. Depuis, son parcours impressionnant est marqué par la couverture de plusieurs conflits au Moyen-Orient et la réalisation de documentaires sociaux dans la région. Interview.

Portrait de Somayyeh, professeure divorcée âgée de 32 ans © Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac

Fisheye : Comment se fait-il que tu aies travaillé dans la photo si jeune ? Était-ce difficile ?

 Newsha Tavakolian : En effet, j’ai commencé la photo très jeune, pour plusieurs raisons. La plus importante est que je n’ai jamais trop aimé l’école. Comme j’étais dyslexique, j’ai toujours trouvé ça difficile de réussir mes études comme je le souhaitais. La photographie a été pour moi un nouveau langage, un moyen d’exprimer mes pensées et mes sentiments à travers l’image.

 Je n’ai jamais étudié la photographie, ça s’est fait un peu par hasard quand j’ai trouvé à la maison le vieil appareil de mon père. Mais dès j’ai commencé à prendre des photos, je ne pouvais plus m’arrêter. J’y passais tout mon temps et c’est devenu ma passion.

Bénévole lors une campagne d’éducation nutritionnelle à Téhéran. © Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac

 

Et puis, c’était une façon pour moi d’être totalement indépendante vis-à-vis de ma famille et de m’assumer financièrement. J’ai donc quitté l’école à 16 ans en sachant que c’était la carrière que je voulais poursuivre. Même si ça a été difficile au début, dès que j’ai eu un poste dans un magazine féminin, j’ai su que j’avais fais le bon choix et que mon futur était dans la photo.

Chauffeur de taxi. Derrière lui, l’affiche de la pièce de Beckett, <em><figcaption class=En attendant Godot. © Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac © Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac” width=”1200″ height=”898″ />

Fisheye : Pourquoi as-tu d’abord choisi de couvrir les conflits ?

Newsha Tavakolian :  Quand je travaillais comme photo-journaliste, je me suis aperçue que je ne voulais pas rester à la maison à regarder les conflits et les guerres à la télé. J’avais envie d’y être, au milieu de l’action, à prendre des photos. Je voulais ressentir ce que c’est d’être dans et autour d’un conflit pour mieux retranscrire les émotions dans mes images.

Mais après avoir couvert deux guerres, j’ai réalisé que je n’étais pas une reporter de guerre. J’ai trouvé ça très dur, très pénible. J’ai décidé que j’étais davantage intéressée par raconter les histoires des gens et j’ai commencé la photo conceptuelle. Mais je serai toujours reconnaissante d’avoir eu l’opportunité de couvrir ces conflits. Je crois que ces expériences ont fait de moi une meilleure photographe.

Ali et sa fille. Il a fait la guerre Iran-Irak pendant sept ans, il s’était engagé à 16 ans. © Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac

Fisheye : De quoi traitait ton projet sur l’Iran pour le Prix Carmignac ?

Newsha Tavakolian : Mon travail sur l’Iran parle de la jeunesse des classes moyennes. J’ai toujours voulu aborder ce sujet parce que leurs vies ne paraissent pas forcément très intéressantes mais je crois qu’il est important de raconter leurs histoires. Le prix Carmignac Gestion du Photojournalisme m’a donné l’opportunité, le temps et les ressources d’enquêter sur ce projet spécifique.

Je pense que la classe moyenne est une part importante de la société et que ses histoires sont souvent oubliées, car on se concentre toujours soit sur les privilégiés soit sur les classes défavorisées. Je crois que cette classe moyenne va bientôt se dissoudre donc je voulais mettre la vie de ces gens au premier plan et la partager avec le monde.

Couple sur la côte caspienne. L’Iran présente un taux de divorces très élevé. © Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac
© Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac

Fisheye : Quel est l’objectif de Rawiya, le groupe de femmes photojournalistes que tu as créé au Moyen-Orient ? 

 Newsha Tavakolian : J’ai toujours voulu supporter et collaborer avec d’autre photojournalistes femmes de la région. On est un petit groupe qui fait face aux mêmes challenges, aux mêmes problèmes que les autres femmes qui travaillent au Moyen-Orient. J’avais l’impression qu’on ne nous laissait jamais exprimer nos pensées et qu’on été souvent réduites au silence, dans un domaine d’activité surtout masculin. Donc je me suis dit : « Pourquoi ne pas trouver un moyen de parler pour nous-mêmes et de raconter nos propres histoires ? »

Le parc d’attractions Eram, près de Téhéran, a vieilli : certaines attractions sont fermées. © Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac

J’ai donc créé Rawiya en 2011, avec cinq autres femmes photographes. Nous avons essayé de présenter un point de vue « insider » de cette région troublée et de montrer les problèmes politiques et sociaux. Malheureusement, aujourd’hui, mon emploi du temps chargé ne me permet plus de faire partie du groupe, mais elles continuent d’avoir beaucoup de succès et je suis très fière de ce que nous avons créé

Le site de Newsha Tavakolia

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