Dans les carnets symboliques d’Agathe Berjaut, l’enfance en famille nous inonde de lumière. Maniant remarquablement la peinture et la photographie, l’artiste dévoile les détails de ses fragments de vie.
Et si la spontanéité de l’enfance perdurait ? Cette interrogation, Agathe Berjaut l’a placée au cœur de son travail artistique. Formée à l’école Duperré, la designeuse de mode, peintre et photographe autodidacte, mariée et mère de deux jeunes filles, collectionne les souvenirs. « “Qui suis-je ? ” : une question qui me hante souvent. Je dirais une femme retenant encore l’enfant qu’elle a été, se vouant à ses filles pour ne pas manquer une miette de leur croissance. Je suis une amie et amante qui croit, malgré tous les coups durs, que la vie vaut la peine d’être vécue. J’ai 45 ans et je suis une personne entière. Je me donne corps et âme à ce et ceux que j’aime. » D’une nature bienveillante, à l’esprit vivant et parfois nostalgique, l’artiste vibre pour la création qu’elle inscrit dans son quotidien. Que ce soit en peinture ou en photographie, elle illustre sa vie, surtout celle qu’elle partage avec ses enfants : Adèle et Lou, ses merveilles.
Avec ces deux pratiques complémentaires, elle relie le temps perdu au temps qui passe. Plus encore, ces arts raisonnent et rayonnent au rythme des années qui défilent − témoins de toutes les premières fois de ses enfants −, et la protègent d’éventuels regrets. « Même si je dessine d’après une image, la peinture a toujours été mon langage de prédilection. Ce sont deux médiums qui me permettent de m’exprimer visuellement. Grâce au 8e art, je regarde plus intensément. Je perçois mieux les bribes de beautés, et les imprime ensuite dans ma mémoire », ajoute-t-elle. Attachée au présent, Agathe Berjaut capte, à la manière des avant-gardistes, les éléments qui l’émeuvent à même son sujet : une mandarine sur un corps nu, des ombres chinoises de mains entrelacées, la marque du maillot de bain après bronzage. Dans toutes ses créations, photos et peintures comprises, le motif de la famille, de l’insouciance enfantine et du lien de sororité revient compulsivement, comme pour protéger son cocon domestique.
© Agathe Berjaut
Collectionner, figer l’éphémère
Dents de lait tombées, étreintes rassurantes, cueillettes et cache-cache en forêt, querelles au bord du lit au réveil, premiers bains et vacances au soleil… Autant de morceaux de vies authentiques, qui, telle une ritournelle, tentent d’échapper à l’effacement et a fortiori au néant. Car ce qu’Agathe Berjaut développe dans ses carnets − ou journaux intimes − sont les preuves de l’amour inconditionnel qu’elle porte à son cercle familial. « Je me demande ce qu’il restera aux familles qui gardent leurs souvenirs sur iPhone. J’ai perdu plusieurs personnes que j’ai aimées éperdument, mais je m’interroge souvent sur ce que je connaissais d’eux. Je ne sais pas si j’ai vraiment eu accès à leur pure intimité. Relire des lettres et me replonger dans des photos me permet d’apporter une réponse à cette question. Mes journaux sont l’héritage que je lèguerai à mes filles. Quand elles décideront de s’y plonger, elles pourront comprendre entièrement qui j’ai été. Découvrir toutes mes couches, des plus superficielles aux plus profondes. »
Armée de son Olympus Mju ou du Pentax Spotmatic de son père, elle s’immisce dans les mouvements les plus instinctifs de ses enfants, reflétant ainsi leur évolution. « Je suis nostalgique du temps où mes filles étaient plus jeunes, affirme-t-elle, avant de reprendre, Je vois déjà qu’il est très difficile de prendre des photos de mon aîné, elle est beaucoup plus consciente de son image, elle est moins dans l’instant présent. » Entre couleurs franches et teintes poudrées, sa palette picturale et photographique oscille. Une manière de symboliser à la fois l’éclat bouillant et la douceur expansive qui unit l’artiste à son entourage proche. « Nous sommes une famille latine, même si nous vivons au nord, nous existons dans le mouvement et à voix haute », affirme-t-elle. Cette douceur évoquée, c’est également celle des corps fougueux, ceux qui ont donné la vie, qui s’entremêlent et se célèbrent.
Sans nul doute, les créations d’Agathe Berjaut lui ressemblent. Dans les traits fluides et fins de ses dessins, ou dans les grains réconfortants de ses clichés, se lit toute la profondeur de son intériorité. À la découverte des pages de ses carnets, l’idée de son bonheur, même mouvementé, s’esquisse. « L’univers artistique d’une personne est le reflet de son “moi”. Le mien est fait de multiples couches, inspirations, langages. C’est la somme de tous mes dessins qui dira qui je suis », conclut-elle.
© Agathe Berjaut