En 1995, la guerre de Bosnie-Herzégovine opposant les populations serbes, croates et bosniaques s’achevait. Vingt ans plus tard, la ville de Srebrenica peine encore à panser les plaies du massacre qui l’a ravageé. Adrien Selbert, photographe français de 30 ans, s’est intéressé à cette nouvelle génération qui a l’âge de la guerre et doit faire face aux préjugés, au chômage et à la corruption. Cet article, rédigé par Gwénaëlle Fliti est à retrouver dans Fisheye #13.
Quand on a 20 ans, la Bosnie est une étrange destination. En 2005, c’est pourtant à Srebrenica qu’Adrien Selbert s’est rendu sur un coup de tête. À l’époque, le jeune Nantais souhaite réaliser un film documentaire sur la jeunesse. « J’avais envie de vérifier ce qu’était la Bosnie dix ans après la fin du conflit. Pourquoi Srebrenica ? Par curiosité », explique-t-il. Le 11 juillet 1995, l’enclave musulmane de cette ancienne cité thermale de Bosnie-Herzégovine tombait sous le contrôle de l’armée serbe, qui a massacré plus de huit mille hommes en l’espace de trois jours. Adrien se souvient encore des images de cette guerre au journal télévisé. Des images qui l’ont marqué.
Diplômé des Beaux-Arts de Nantes et des Arts déco de Paris, il devient réalisateur et documentariste. Les années passent, mais pas son désir de rapporter au plus juste ses observations. Retour à Srebrenica en 2008, 2012, puis chaque année. Adrien décide de troquer sa caméra contre un reflex afin d’entreprendre un travail photographique autour du thème qui lui tient à cœur: la vie des jeunes Bosniens errant au milieu des vestiges d’une guerre qu’ils n’ont pas connue. À 18 ans, la plupart émigrent vers les grandes villes. Ceux qui restent – parmi les Serbes –, remarque Adrien, sont agacés d’être toujours ramenés au passé et aux crimes commis par leurs aînés contre les Bosniaques musulmans.
Chaque été, « ils ont droit à leur lot de touristes qui les fixent comme des bêtes sauvages ». Voilà vingt ans que la ville tente de se reconstruire et, malgré l’argent provenant de l’aide internationale, les façades des maisons affichent encore les stigmates de la guerre. « La jeunesse locale se demande alors où va vraiment l’argent », rapporte Adrien.
Une ville toujours plongée dans l’obscurité
Celui-ci aurait pu photographier Srebrenica de jour, mais « la nuit, la cité se pare de mélancolie, d’une étrangeté « lynchienne » qui reflète mieux l’aura de la ville. L’atmosphère devient inquiétante avec ses chiens errants, ses rues désertes et la lumière si particulière de ses réverbères. L’on y retrouve un climat glauque qui n’est pas sans rappeler celui des films de série B », précise le photographe. La nuit s’est aussi imposée car c’est le moment où les jeunes se réapproprient leur ville, où ils s’amusent et vivent.
Pour Adrien, cette vision nocturne se lit comme la métaphore d’une ville toujours plongée dans l’obscurité de son passé et où l’avenir de la jeunesse apparaît bouché. « Le chômage est élevé. Il y a beaucoup de corruption. Pour trouver un emploi, il est d’usage de passer par les partis politiques », détaille Adrien. Dès son premier voyage, il a tissé des relations avec plusieurs jeunes. De leurs virées alcoolisées sur les hauteurs de la ville, il a tiré la plupart de ses photos : silhouettes sous de grandes architectures, portraits, paysages urbains… Srebrenica (nuit à nuit) s’inscrit dans un projet photographique plus global sur la Bosnie d’après-guerre. Comment définir la fin du post-génocide ? Quand « l’après » s’arrête-t-il ? Dix ans après sa première visite, Adrien Selbert continue de s’interroger.
© Adrien Selbert