À la Fondation Henri Cartier-Bresson, Weegee critique la société du spectacle

12 février 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
À la Fondation Henri Cartier-Bresson, Weegee critique la société du spectacle
Charlie Chaplin, Distortion, 1950 © Weegee / International Center of Photography.
Holiday Accident in the Bronx, 1941 © Weegee / International Center of Photography.

Jusqu’au 19 mai 2024, la Fondation Henri Cartier-Bresson rend hommage à l’œuvre de Weegee au travers d’Autopsie du spectacle. La rétrospective propose un parcours inédit, envisageant la carrière du photographe dans son ensemble. 

« Il y a une énigme Weegee », commence Clément Chéroux, commissaire et directeur de la Fondation Henri Cartier-Bresson. Il faut dire que, jusque-là, les expositions qui célébraient l’œuvre du photographe s’intéressaient essentiellement à la première partie de sa carrière, consacrée aux faits divers en tous genres. Crimes sanglants, accidents de voiture, arrestations, incendies… Branché sur les ondes de la police, celui qui a rejoint les États-Unis à l’âge de 11 ans sillonnait New York à la recherche de fragments de vies bouleversées. Né en 1899 dans une petite ville de l’Empire austro-hongrois, Usher Felig de son nom s’est initié très jeune au 8e art. Dans le souvenir de son récit familial, il s’attachait ainsi à documenter l’existence d’êtres miséreux. Malgré un engagement politique discret, le photo-reporter entretenait notamment des liens étroits avec la Photo League, qui regroupait des personnes croyant à l’émancipation par l’image et militant pour la justice sociale.

Anthony Esposito, Booked on Suspicion of Killing a Policeman, 1941 © Weegee / International Center of Photography. Louis Stettner Archives, Paris.
Man Arrested for Cross-Dressing, New York, 1939 © Weegee / International Center of Photography. Louis Stettner Archives, Paris.
The Critic, November 22, 1942 © Weegee / International Center of Photography. Collection Friedsam.

Deux facettes d’une même société

Seulement, en 1947, après avoir passé plus d’une décennie à capturer les faits divers, Weegee décida de changer d’air. Les quartiers de la métropole se substituèrent finalement à Hollywood, qui lui offrit une iconographie beaucoup plus festive. Politiques, stars et figures mondaines devinrent de nouveaux sujets de prédilection qu’il déformait par le biais de trucages pour en faire des caricatures. « Comment ces deux corpus, aussi diamétralement opposés, peuvent-ils coexister au sein d’une même œuvre photographique ? Les exégètes se sont plu à renforcer l’opposition entre ces deux périodes, à encenser la première et à détester la seconde », souligne Clément Chéroux. De fait, Weegee est l’un des rares photographes du 20e siècle à avoir eu à la fois une approche de rue frontale et une pratique de laboratoire, marquée par de nombreuses manipulations.

L’idée d’un panorama s’est alors imposée comme une évidence. « L’exposition Autopsie du Spectacle a pour ambition de réconcilier les deux Weegee en montrant qu’au-delà des différences de formes, la démarche du photographe repose sur une réelle cohérence critique », poursuit le commissaire. Les 126 tirages présentés, tous d’époque et issus de six fonds distincts, donnent à voir deux facettes d’une même société. Au gré des salles se dévoile alors une industrie protéiforme, au sein de laquelle la théâtralisation des faits divers, devenus semblables à des spectacles, se heurte à un jugement incisif du spectaculaire hollywoodien. Du début à la fin, ses compositions ont toujours joué des contrastes, résulté d’un regard facétieux sur monde alentour. Des panneaux aux inscriptions ironiques au décalage marqué entre les plus riches et les plus pauvres, en passant par une large palette d’émotions devant le crime, Weegee illustrait avant tout la notion de Theatrum mundi, proposant une mise en abyme de la société avec son public aux premières loges.

Éditions Textuel
208 pages
55 €
« Il Fotografo cattivo », Epoca, vol. XIII, n°636, december 1962 © Weegee / International Center of Photography. Collection privée Paris.
Sleeping at the Circus, Madison Square Garden, New York, 1943 © Weegee / International Center of Photography.
Self-Portrait, 1963 © Weegee / International Center of Photography.
Charles Sodokoff and Arthur Webber Use Their Top Hats to Hide Their Faces, 1942 © Weegee / International Center of Photography. Louis Stettner Archives, Paris.
Afternoon Crowd at Coney Island, Brooklyn, 1940 © Weegee / International Center of Photography. Courtesy Galerie Berinson, Berlin.
À lire aussi
Focus #26 : Luis Corzo reconstitue son propre kidnapping
Focus #26 : Luis Corzo reconstitue son propre kidnapping
C’est l’heure du rendez-vous Focus de la semaine ! Aujourd’hui, lumière sur Luis Corzo. Dans Pasaco, 1996, le photographe guatémaltèque…
16 novembre 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
 « Il est plus efficace de critiquer les rouages d’un système lorsqu’on en est une vis. »
 « Il est plus efficace de critiquer les rouages d’un système lorsqu’on en est une vis. »
Pour témoigner de l’auto et l’ultra surveillance de nos sociétés l’artiste Eugène Blove a choisi le selfie, truqué. Il propose dans son…
28 avril 2020   •  
Écrit par Anaïs Viand
InCadaqués 2023 : fulgurances artistiques en terre paradisiaque
© Kamila K Stanley
InCadaqués 2023 : fulgurances artistiques en terre paradisiaque
Jusqu’au 15 octobre se déroule l’édition 2023 du festival international InCadaqués. Dans la chaleur d’un automne aux allures estivales…
09 octobre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Sandra Eleta
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
22 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La Galerie Carole Lambert réenchante l'œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Petit cheval de Quito © Archivo Manuel Álvarez Bravo
La Galerie Carole Lambert réenchante l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Jusqu'au 18 décembre 2025, la Galerie Carole Lambert devient l’écueil des 40 tirages d’exception du photographe mexicain Manuel Álvarez...
21 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Rondônia (Comment je suis tombé amoureux d’une ligne), 2023 © Emilio Azevedo
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Présentée dans le cadre du festival PhotoSaintGermain et au musée du Quai Branly, l'exposition Rondônia. Comment je suis tombé amoureux...
20 novembre 2025   •  
Écrit par Milena III
À la MEP, Tyler Mitchell joue avec les codes du portrait formel
The root of all that lives, 2020 © Tyler Mitchell. Courtesy de l'artiste et de la Galerie Gagosian
À la MEP, Tyler Mitchell joue avec les codes du portrait formel
Jusqu’au 25 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie présente la première exposition personnelle de Tyler Mitchell en...
19 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Sandra Eleta
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
22 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La Galerie Carole Lambert réenchante l'œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Petit cheval de Quito © Archivo Manuel Álvarez Bravo
La Galerie Carole Lambert réenchante l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Jusqu'au 18 décembre 2025, la Galerie Carole Lambert devient l’écueil des 40 tirages d’exception du photographe mexicain Manuel Álvarez...
21 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les secrets des météorites dévoilés par Emilia Martin
I saw a tree bearing stones in place of apples and pears © Emilia Martin
Les secrets des météorites dévoilés par Emilia Martin
Dans son livre I Saw a Tree Bearing Stones in the Place of Apples and Pears, publié chez Yogurt Editions, Emilia Martin s’intéresse au...
21 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Jonathan Bertin : l'impressionnisme au-delà des frontières
Silhouette urbaine, Séoul Impressionism © Jonathan Bertin
Jonathan Bertin : l’impressionnisme au-delà des frontières
Jusqu’au 20 décembre 2025, Jonathan Bertin présente, à la Galerie Porte B, un dialogue délicat entre sa Normandie natale et Séoul, ville...
20 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger