Jusqu’au 19 janvier 2025, la MEP invite son public à découvrir le monde fascinant de la flore au travers de Science/Fiction – Une non-histoire des plantes. D’un environnement proche du réel aux expérimentations qui germent aux confins de l’imagination, l’exposition retrace également l’évolution de la photographie qui, d’outil scientifique, est devenue un art à part entière.
« C’est un voyage vers l’avenir », indique d’emblée Simon Baker, directeur de la MEP. Bien nommée, Science/Fiction – Une non-histoire des plantes prend racine dans le réel et cultive les imaginaires. L’exposition propose, de fait, une ascension du passé vers un futur inventé. Du rez-de-chaussée au troisième étage en passant par le Studio, le musée prend des allures de serre d’un autre genre. Les clichés, pareils à des espèces grimpantes, habillent les murs de bas en haut. Certains espaces nous plongent dans une pénombre où se découvrent des spécimens étonnants, parfois inexistants, qui laissent l’esprit songeur. Dans certains coins, des vidéos les animent même, et une installation immersive reproduit la fréquence avec laquelle les arbres indiquent à leur milieu ce dont ils ont besoin. L’impression d’avancer en terre inconnue grandit. La familiarité laisse place à une inquiétante étrangeté. Tout compte fait, que savons-nous véritablement de cet univers ?
Cet agencement a été pensé par les directrices artistiques Clothilde Morette et Victoria Aresheva, qui désiraient pallier notre « myopie anthropocentriste ». Toutes deux se sont nourries des œuvres littéraires d’Octavia E. Butler et de J. G. Ballard pour cheminer vers deux interrogations qui se recoupent : quelle vision avons-nous de la flore ? Et quelle est cette photographie qui capture le monde ? En retraçant leurs évolutions respectives, des liens se tissent. Les expérimentations plastiques vont de pair avec le déploiement de narrations issues de la science et de la science-fiction. Ces nouvelles représentations et projections permettent alors de réfléchir aux mutations écologiques. « Qualifier cette exposition de “non-histoire”, bien qu’elle couvre près de deux cents ans de création, revient à rappeler que le monde naturel n’a pas besoin ni ne dépend de dates et de chronologies humaines ; mais aussi que c’est le plus souvent à travers les fictions que les différentes notions du temps sont les plus compréhensibles », souligne d’ailleurs Simon Baker.
Transcender les clivages normatifs
Les premières études sur l’intelligence des plantes remontent au 19e siècle. Jusque-là considérées comme de simples motifs ornementaux, elles s’imposent dès lors comme des sujets scientifiques à part entière et sont appréhendées pour ce qu’elles sont et non plus pour leur dimension symbolique. À l’image, elles apparaissent sans fioritures, sur des fonds neutres. Leur histoire visuelle est d’abord celle d’un changement de paradigme, de regard posé sur le végétal. « Les objectifs photographiques ont ouvert l’accès à d’étranges mondes invisibles, libérant l’imagination, mais également à la représentation de problématiques humaines bien réelles, allant jusqu’à proposer des solutions », explique Simon Baker. Pour le démontrer, les équipes de la MEP ont pensé l’exposition en six chapitres allant de « l’agentivité des plantes » aux « fiction(s) spéculative(s) ». Ceux-ci donnent à voir les œuvres de plus de 40 photographes d’époques et d’horizons différents aux esthétiques variées. Sur les cimaises, la couleur côtoie le monochrome. La texture se matérialise tant par l’aspect grenu, par le collage que par la trace de fleurs dans des cadres en céramique, à l’instar des compositions de Sam Falls.
Pour mieux comprendre la portée de ce corpus aussi foisonnant qu’impressionnant, la lecture des cartels devient nécessaire. À mesure qu’ils nous guident, ils nous en apprennent davantage sur le 8e art, dont l’objectif premier était de rendre compte du réel avec le plus de précision possible. Dans cette exposition, les procédés techniques employés sont nombreux et n’ont de cesse d’être renouvelés. La production historique se confond avec celle des talents émergents de notre époque. Les cyanotypes d’Anna Atkins, datant des années 1850, s’entremêlent, par exemple, aux impressions sur feuilles, éphémères par nature, d’Almudena Romero et aux photogrammes d’Anaïs Tondeur. Angelika Loderer utilise quant à elle des champignons pour faire évoluer ses tirages au fil du temps. Un travail collaboratif se dessine. Les plantes reprennent ainsi leurs droits, retrouvent une place et une voix. Le monde, d’abord stable et reconnaissable, se plonge progressivement dans l’incertitude et l’inattendu. La culture populaire s’empare d’un environnement devenu insaisissable et surtout monstrueux. Ce nouveau lieu commun se traduit par des affiches et des extraits de films, tout comme des livres de science-fiction présentés en abondance dans l’une des salles. Dans cette brèche s’immiscent finalement les problématiques écologiques et féministes de notre temps. La flore se transforme en support de récits d’anticipation imagés et politiques. Cette profusion d’expérimentations transcende les clivages normatifs entre fiction et réalité, science et art. Elle rend compte, de cette façon, de la complexité du monde végétal, de même que la relation que nous entretenons avec lui.