Après Where Mimosa Bloom, un livre extrêmement touchant sur le deuil de sa mère, et Good Luck with the Future publié en collaboration avec Dani Pujalte, Rita Puig-Serra Costa compose son troisième ouvrage intitulé Anatomy of an Oyster. Un projet d’une intimité bouleversante où l’artiste lève le voile sur tous ses non-dits, telle une lettre ouverte à sa mère disparue, et s’ouvre enfin à la guérison en disant la vérité.
« Oser dire ce que l’on a au plus profond de soi » : c’est de cette affirmation qu’Anatomy of an Oyster de Rita Puig-Serra Costa s’est établi. Au commencement, il y a eu le décès subit de sa mère, pour qui elle a consacré un premier ouvrage en 2014 – Where Mimosa Bloom – afin d’entamer son deuil. Puis, avec la naissance de son fils Riu, un besoin viscéral de délier les langues a éclot, une nécessité de visiter d’autres traumas trop longtemps mis au rebut, de dévoiler des choses indicibles. Il y a eu un besoin irrépressible de se reconstruire, d’avouer des années après un secret familial. « Avec ma mère nous avions une relation très fusionnelle et je partageais énormément de choses avec elle. Je n’ai néanmoins jamais réussi à lui dire que j’avais subi des abus de la part de mon beau-père dans mon enfance. C’est un poids très lourd que j’ai toujours porté en moi, n’ayant pu le pu partager avec elle, ni sentir son soutien. Le plus étrange, c’est que lorsque j’ai décidé de lui en parler et que je m’y préparais, elle est tombée malade et est décédée. Anatomy of an oyster parle précisément de verbaliser ce que j’avais caché au plus profond de moi. C’était une façon de lui en parler, de me le répéter et me l’avouer, et d’ainsi l’expliquer au monde ».
De cette horreur vécue dans la chair, et ayant marqué son corps et sa psyché, elle crée sa série en capturant d’abord des images d’huître, et plus précisément le processus de formation de la perle. « La perle commence à se former lorsqu’un élément étranger pénètre dans l’huître et que celle-ci ne parvient pas à l’expulser. La nacre, qui recouvre l’intérieur de l’huître, va finir par recouvrir ce corps étranger et former la perle. L’expérience de la formation de la perle est donc une stratégie de défense, de survie de l’huître. Je m’intéresse au concept de l’autobiographie cachée dans la perle », explique-t-elle. Ici, le coquillage porte en lui une symbolique double : d’une part celle de sa filiation au féminin et à la violence des mains qui la forcerait à s’ouvrir, à cette sexualité abusive. D’autre part, elle renvoie à cette carapace, à ces couches multiples de nacres formées autour de la perle, la protégeant d’un extérieur dangereux, rendant l’accès difficile à une mémoire traumatique.
Extraire de la douceur
Décortiquer l’huître, l’autoanalyser, regarder dans ce qui heurte, revient alors à une ouverture métaphorique, à l’extraction de ce qui a trop longtemps été enfouit. Ainsi, pour justifier son propos, l’artiste part à la recherche de fermes perlières en Indonésie et fige ces trésors nacrés. Un corpus photo se créer et s’ajoute à celui-ci des images de perles baroques, des archives intimes et familiales – des albums photos, des extraits de témoignages de ses ami·es auxquel·les elle avait confié le drame. Arrive enfin une étape évidente au processus artistique et personnel de l’auteure : celle de la confrontation avec son abuseur. « Le corps possède une réelle mémoire. J’ai donc tenté de le fouiller, de fouiller mon être, j’avais besoin d’indices. C’est aussi à ce moment-là̀ que j’ai parlé à la personne qui avait abusé de moi. Je lui ai dit que je voulais faire ce projet et lui ai par la suite demandé de prendre des photos macro de son corps : de ses mains, de ses yeux. Je suis également retourné dans la maison où tout s’était passé pour la photographier. »
Au fil des images qui se révèlent, une mise à nue s’opère, une extrême vulnérabilité se déploie et le mystère se délie, faisant déferler les secrets. Si en substance tout y est délicat, fait dans la lenteur, c’est bien une violence inouïe ravalée qui s’offre à nous. Il faut lire entre les lignes, entre les mots déposés faits des pensées de la photographe, de ses peurs et de sa désorientation. « Les textes ajoutés sont des souvenirs, des rêves, il y a aussi une lettre que ma meilleure amie m’a envoyée quand nous étions petites et dans laquelle elle me disait de le dire à ma mère. Des fragments de mémoire qui peuvent, d’une manière ou d’une autre, être liés à ce qui s’est passé. J’aime l’idée qu’il n’est pas évident de savoir à qui et de quoi l’on parle à un moment donné. Cela illustre précisément la déconcertation, ainsi que la recherche de réponses », ajoute-t-elle. Pourtant, à mesure que l’huître s’ouvre, il semblerait qu’un baume tendre s’appose sur les cicatrices évoquées, que les réponses tant recherchées apparaissent enfin. Poésie de la réparation, Anatomy of an Oyster s’est construit dans la douleur, mais également dans une volonté évidente de ne pas sombrer dans l’oubli. En tournant une dernière fois les pages du livre de Rita Puig-Serra Costa, la perle, objet de maintes convoitises, nous irradie d’un blanc laiteux, comme un ultime avertissement : « défense de violer mon harmonie sacrée ».
44 pages
36€