Cet article contient du contenu violent ou explicite

Lena Kunz : photographier pour apaiser les tourments

31 août 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Lena Kunz : photographier pour apaiser les tourments
© Lena Kunz
© Lena Kunz
© Lena Kunz
© Lena Kunz

Installée entre Berlin et Hambourg, Lena Kunz développe une œuvre intime inspirée par sa propre histoire. Corps, émotions et tabous s’y mélangent dans un ensemble à la fois brut et doux.

« Je me suis mise à la photographie alors que je cherchais une manière d’apaiser mon esprit », déclare Lena Kunz. Pour décrypter l’œuvre de l’artiste allemande de 30 ans, il faut plonger dans son passé, et celui de ses parents. Maltraîté·es durant leur enfance, ces dernièr·es perpétuent les mauvais traitements subis – devenus automatismes – et les reproduisent une fois adultes.
« C’était à la fois physique et psychologique. Je me suis enfuie de chez moi lorsque j’avais 14 ans », confie l’autrice. Seule, sans ami·es, ni relations au monde extérieur – elle n’avait pas accès à la télévision ni à la musique – elle se construit en marge de la norme, évoluant d’abord dans un foyer, puis dans son propre appartement, dès l’âge de 16 ans. « J’ai mis des années à me remettre de cette expérience. Cela m’a conduit à beaucoup m’interroger. J’ai dû trouver ma voie très rapidement, de manière autodidacte. Je crois que mon enfance m’a rendue intrépide : je ne souhaite me concentrer aujourd’hui que sur le positif », confie-t-elle.
C’est à 17 ans que Lena Kunz achète son premier boîtier. Cherchant un refuge, elle commence à expérimenter au cœur d’un jardin botanique, dont elle capture la végétation. Une action qui l’apaise, calme le bruit de ses pensées. De fil en aiguille, la paix intérieure se propage, et lui permet de tourner son objectif vers l’humain – des soirées slams aux pistes de danse des clubs. À 22 ans, elle entre à Lette Verein Berlin, une école qui lui apprend les fondations de la technique photographique. Depuis, l’artiste ne cesse de figer « ce qui apparaît à la surface de [s]on esprit ». Une approche intuitive qui entend illustrer plutôt que critiquer, pour mieux laisser la place à la réflexion de chacun·e. Une démarche altruiste, nous invitant au cœur de son univers pour mieux nous pousser à remettre en question les fondements établis par notre monde.

La force et l’impact d’un cri

« Les émotions des regardeur·ses changent le monde, je les invite à les confronter », poursuit Lena Kunz. Bercés par des tons doux, des lumières naturelles et une sensation d’immobilité, ses images révèlent néanmoins une vérité brute, sans artifice. Des sensations à fleur de peau, surgissant des clichés avec la force et l’impact d’un cri. « J’aime être directe, faire remuer les choses. Les spectateurices se connectent à la vulnérabilité que je donne à voir. Iels prennent part à mon travail en observant mes images », affirme-t-elle. Thérapeutique par essence, le 8e art agit selon elle comme un moyen d’interagir, avec les autres d’abord, puis à sa propre famille et enfin à elle-même. Une mise à nu – littérale – perçue comme un acte aussi engagé que nécessaire. « J’ai photographié beaucoup de gens avec respect, mais lorsque j’ai voulu qu’on me shoote à mon tour, il n’y avait personne, alors je m’en suis chargée. La nudité renvoie à l’authenticité, l’identité, la vulnérabilité. Elle est synonyme de paix intérieure, puisqu’elle est choisie », explique-t-elle.

À l’instar de Romy Alizée, qui, dans ses performances, défie du regard l’appareil et déconstruit le rapport observateurice/observé·e, Lena Kunz fixe l’objectif, la télécommande à la main, affirmant qu’elle est bien maîtresse de l’action. Sans vêtement, assise et fière, elle révèle, au cœur de plusieurs créations, sa vulve et son sang menstruel, comme un acte militant, appelant à une démocratisation d’un phénomène naturel et pourtant jugé « extrême ». « Je me donne une tribune et invite les autres à faire de même. Je fais en sorte que mon œuvre soit la plus authentique possible », affirme l’autrice. Parmi les branches d’un arbre, à la surface d’un lac, dans le rayon lumineux d’un soleil matinal, Lena Kunz se met en scène, fige son corps dans son intimité la plus totale. Un ensemble illustrant un besoin viscéral de souligner « la connexion, la gentillesse, la compassion – l’amour sous toutes ses formes ». Car malgré les épreuves, par-delà la force des sujets étudiés, c’est avant tout cette émotion qui anime la photographe. « Dans le bruit du monde, il faut se souvenir que votre travail n’est pas pour tout le monde, seulement pour celleux qui ont besoin de vos images et votre histoire. Alors, faites-le pour vous et ignorez le reste », conclut-elle.

© Lena Kunz
© Lena Kunz
© Lena Kunz
© Lena Kunz
© Lena Kunz
© Lena Kunz
© Lena Kunz
À lire aussi
Contenu sensible
Focus #27 : Romy Alizée et son regard féministe sur la sexualité
Focus #27 : Romy Alizée et son regard féministe sur la sexualité
C’est l’heure du rendez-vous Focus de la semaine ! Aujourd’hui, lumière sur Romy Alizée. Avec Things I imagined, la photographe française…
23 novembre 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nature, magie et écoféminisme
Nature, magie et écoféminisme
Avec Je suis la terre, Caroline Ruffault réécrit les relations entre les hommes et la nature et imagine un monde harmonieux. Une œuvre…
15 juin 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas

Explorez
Dans l’œil de Sina Muehlbauer : les visages flous de nos souvenirs
© Sina Müehlbauer
Dans l’œil de Sina Muehlbauer : les visages flous de nos souvenirs
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Sina Muehlbauer. Intriguée par le masque métaphorique que l’on présente au monde – pour cacher...
23 octobre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Still Life : Kate Sterlin et les complexités de l’identité métisse
© Still Life by Kate Sterlin publié par Anthology Editions
Still Life : Kate Sterlin et les complexités de l’identité métisse
Photographe et écrivaine établie à Los Angeles, Kate Sterlin consigne des années de vie dans Still Life, un beau-livre paru en octobre...
16 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Jeu de Paume : le regard singulier de Tina Barney sur les rituels familiaux 
Julianne Moore and Family, 1999 © Tina Barney. Courtesy de l’artiste et Kasmin, New York.
Jeu de Paume : le regard singulier de Tina Barney sur les rituels familiaux 
Jusqu’au 19 janvier 2025, le Jeu de Paume met Tina Barney à l’honneur en lui consacrant sa première rétrospective européenne. Depuis...
12 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Kalo Chianetta : la mort à l'œil
© Kalo Chianetta
Kalo Chianetta : la mort à l’œil
Virtuose d’à peine 19 ans, l’artiste sicilien Kalo Chianetta, depuis sa page Instagram où il poste Dal mio...
11 octobre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Scarlett Coten à la poursuite des masculinités plurielles
© Scarlett Coten. Colton, Austen Texas, USA 2019
Scarlett Coten à la poursuite des masculinités plurielles
Du 24 octobre au 30 novembre, la photographe Scarlett Coten présente pour la première fois à la galerie Les Filles du Calvaire, sa...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Architectes spatiaux
Exposition Back to Dust de Marguerite Bornhauser (2023), scénographie de Bigtime Studio © Marguerite Bornhauser
Architectes spatiaux
Mises en scène spectaculaires, enrichissements visuels, sonores, voire tactiles… Les scénographes contribuent à donner aux œuvres...
24 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Matthieu Gafsou au Centre Claude Cahun : le corps humain face au vivant
© Matthieu Gafsou
Matthieu Gafsou au Centre Claude Cahun : le corps humain face au vivant
Jusqu'au 25 janvier 2025, le Centre Claude Cahun accueille une exposition de Matthieu Gafsou, Est-ce ainsi que les hommes vivent ? qui...
23 octobre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Dans l’œil de Sina Muehlbauer : les visages flous de nos souvenirs
© Sina Müehlbauer
Dans l’œil de Sina Muehlbauer : les visages flous de nos souvenirs
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Sina Muehlbauer. Intriguée par le masque métaphorique que l’on présente au monde – pour cacher...
23 octobre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas