Andreï Tarkovski, écosystèmes et délires psychiques, dans la photothèque de Chloé Milos Azzopardi

21 mars 2024   •  
Écrit par Milena III
Andreï Tarkovski, écosystèmes et délires psychiques, dans la photothèque de Chloé Milos Azzopardi
Un shooting rêvé ? © Chloé Milos Azzopardi
Si tu devais ne choisir qu’une seule de tes images, laquelle serait-ce ?
© Chloé Milos Azzopardi

Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les sujets qui les inspirent particulièrement. Aujourd’hui, Chloé Milos Azzopardi nous ouvre les portes de son univers étrange et futuriste, où la nature déploie un conte dans lequel toute tentative de domination serait vaine.

Fisheye : Si tu devais ne choisir qu’une seule de tes images, laquelle serait-ce ?

Chloé Milos Azzopardi : Ce serait celle du serpent tenu par quatre mains. Je l’ai réalisée il y a trois ans et elle a été comme un déclencheur. C’est une photographie que j’avais beaucoup fantasmée et que je suis allée chercher. Ma première photo « d’auteur » en quelque sorte, celle que j’ai entièrement désirée et décidée. 

La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ?

Je devais avoir onze ans, c’était un simple tirage argentique que ma mère avait fait et que je découvrais. C’est la surface du papier photo qui m’a fascinée plus que le sujet. J’avais l’impression que les noirs avaient la même profondeur que l’eau d’un lac. Plus tard, ce sont les photos de Masao Yamamoto qui m’ont beaucoup marquée. Je devais avoir 19 ans lorsque j’ai découvert par hasard son livre Small Things in Silence

Un shooting rêvé ?

Travailler avec cinq à dix personnes pour créer des installations collectives dans des paysages dépouillés. Ce sont les photos-performances que je fantasme en ce moment. Les images de foules de Theo Angelopoulos (grande figure du Nouveau cinéma grec, ndlr) y sont certainement pour quelque chose.

La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ?
© Chloé Milos Azzopardi
Un shooting rêvé ?
© Chloé Milos Azzopardi
Un ou une artiste que tu admires par-dessus tout ?
© Chloé Milos Azzopardi

Un ou une artiste que tu admires par-dessus tout ?

Andreï Tarkovski. Il y en aurait beaucoup d’autres à citer, mais disons qu’il a été l’un des premiers et m’accompagne depuis le début. En écriture, nous portons en nous les rythmes d’autres écrivain·es, nous écrivons souvent avec la fréquence d’autres textes et c’est incroyable de se sentir habité par cette multitude. Tarkovski fait cela pour moi en images. Il appartient à mon écosystème sensitif et visuel. Il m’accompagne avec ses lumières, sa mystique, sa poésie, sa détermination à vivre le plus profondément possible, et sa foi indéfectible pour la création.

Une émotion à illustrer ?

Le délire, cette ivresse que l’on trouve dès l’enfance en tournant sur soi-même pour faire chavirer ce qui nous entoure. Une exaltation vécue grâce à une action simple : être un corps en mouvement au milieu d’autres corps. 

Un genre photographique, et celui ou celle qui le porte selon toi ?

Je ne sais pas si c’est un genre, mais j’aime les photographies qui génèrent d’autres mondes et désorientent, attisent la curiosité pour le vivant et le mystère. Yorgos Yatromanolakis l’a très bien fait dans sa série The Splitting of the Chrysalis & the Slow Unfolding of the Wings

Une émotion à illustrer ?
© Chloé Milos Azzopardi

Un genre photographique, et celui ou celle qui le porte selon toi ?
© Chloé Milos Azzopardi
Un territoire, imaginaire ou réel, à capturer ?
© Chloé Milos Azzopardi
Une thématique que tu aimes particulièrement aborder et voir aborder ? © Chloé Milos Azzopardi

Un territoire, imaginaire ou réel, à capturer ?

Je rêve souvent de photos imaginaires. Il y en a une à laquelle je pense souvent et qui est liée à une sensation de couleur. C’est un paysage de nuit tombante traversé par un train, où soudain, un volcan entre en éruption et les coulées de lave rougeoyantes rendent le bleu du ciel encore plus électrique, et tout se met à vibrer. 

Une thématique que tu aimes particulièrement aborder et voir aborder ? 

J’aime qu’on me raconte des histoires, fictives ou non, il n’y a pas de thématique particulière que je recherche tant que les choses sont incarnées. 

Un événement photographique que tu n’oublieras jamais ?

C’est un événement artistique, l’installation The Roof Garden de Pierre Huyghe sur le toit du Metropolitan Museum of Art de New York en 2015. J’avais découvert son travail lors de sa rétrospective à Beaubourg en 2013 et il était rapidement devenu mon artiste préféré. Sur le toit du Met, il avait simplement retiré certaines des dalles de béton qui couvraient le sol, les empilant ailleurs, créant du volume, recomposant l’espace. Les dalles retirées créaient des sortes de bassins d’environ 10 cm de profondeur. Le rooftop du musée était bordé de buissons et souvent, des oiseaux s’y posaient. Avec le passage des saisons, la pluie a rempli les endroits où les dalles avaient été enlevées, dessinant de grandes flaques rectangulaires où les oiseaux et les insectes venaient se désaltérer. Ces mêmes oiseaux et insectes, venant d’ailleurs, portaient dans leur plumages et leur cuticule des graines qu’ils dispersaient sur le toit. Au fur à mesure, les creux que Pierre Huyghe avait créés se sont remplis de plantes, de fleurs et de baies et un jardin s’est formé. J’ai été extrêmement touchée par la simplicité de son geste. C’était une intervention si minimale et éloquente, j’étais fascinée de voir comment le simple retrait d’un élément était susceptible de générer de la vie et de laisser la place à un nouvel écosystème. 

Une œuvre d’art qui t’inspire particulièrement ?

La série de performances Paradox of Praxis de Francis Alÿs, et notamment celle intitulée « Sometimes making something leads to nothing ». Dans les rue de Mexico City, Francis Alÿs pousse un très gros un bloc de glace pendant 9h, le temps que celui-ci fonde entièrement. C’est un geste modeste, poétique et absurde où Alÿs prefère l’errance libre aux trajets tout tracés, révélant l’inutilité de certains actes que nous accomplissons. 

Un événement photographique que tu n’oublieras jamais ?
© Chloé Milos Azzopardi
Une œuvre d’art qui t’inspire particulièrement ?
© Chloé Milos Azzopardi
À lire aussi
Le règne des vivants
Le règne des vivants
Avec Écosystèmes, Chloé Milos Azzopardi écrit un conte futuriste, mêlant explorations psychologiques et questionnements écologiques. Une…
01 septembre 2022   •  
Écrit par Anaïs Viand
InCadaqués 2023 : fulgurances artistiques en terre paradisiaque
© Kamila K Stanley
InCadaqués 2023 : fulgurances artistiques en terre paradisiaque
Jusqu’au 15 octobre se déroule l’édition 2023 du festival international InCadaqués. Dans la chaleur d’un automne aux allures estivales…
09 octobre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
© Rebecca Najdowski
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
Dans sa série Ambient Pressure, l’artiste Rebecca Najdowski nous invite à interroger le rôle du médium photographique dans notre...
18 décembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
La sélection Instagram #485 : livre de la jungle
© Janis Brod / Instagram
La sélection Instagram #485 : livre de la jungle
Les photographes de notre sélection Instagram de la semaine explorent la jungle, autant celle faite d’arbres et de fougères luxuriantes...
17 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Le Festival du Regard fait sa zoothérapie
© Daniel Gebbhart de Koekkoek
Le Festival du Regard fait sa zoothérapie
À mesure que notre vie s’urbanise, nos liens avec les animaux s’étiolent. Il est temps d’y remédier. Grâce au travail d’une...
14 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Arktis : la dystopie polaire d’Axelle de Russé
© Axelle de Russé
Arktis : la dystopie polaire d’Axelle de Russé
Pendant huit ans, la photographe Axelle de Russé a suivi l’évolution du réchauffement climatique en Arctique, une réalité qui chaque jour...
12 décembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
The Color of Money and Trees: portraits de l'Amérique désaxée
©Tony Dočekal. Chad on Skid Row
The Color of Money and Trees: portraits de l’Amérique désaxée
Livre magistral de Tony Dočekal, The Color of Money and Trees aborde les marginalités américaines. Entre le Minnesota et la Californie...
21 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
© Prune Phi
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
Du 7 février au 23 mars 2025, le Jeu de Paume accueille le festival Paysages mouvants, un temps de réflexion et de découverte dédié à la...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
© Maurine Tric
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
Pour certain·es artistes, la photographie a un pouvoir cathartique ou une fonction guérisseuse. Iels s'en emparent pour panser les plaies...
19 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine