Pendant huit ans, la photographe Axelle de Russé a suivi l’évolution du réchauffement climatique en Arctique, une réalité qui chaque jour menace un peu plus ce fragile écosystème. Sa série Arktis, sorte de dystopie polaire, cherche à nous révéler des phénomènes souvent invisibles à l’œil nu.
D’étranges lumières percent la nuit polaire. Des aurores boréales dansent par-dessus les toits de la petite ville de Longyearbyen, la plus au nord du monde. Durant quatre mois complets, ses 2000 habitant·es, mineur·es, aventurier·es et scientifiques, ne verront pas le jour. Mais ce n’est pas ce qui les inquiète, la vraie menace, c’est le réchauffement climatique. Depuis 1960, les températures ont augmenté de 8°C en été et 6°C en hiver. « Au départ, l’archipel de Svalbard était un désert de glace, isolé et inhabité, fréquenté uniquement par des pêcheurs de baleines. Jusqu’à ce qu’on y découvre du charbon et qu’une colonie de mineurs s’y installe. Aujourd’hui, une seule mine est toujours en activité et le site attire surtout des scientifiques et des compagnies de tourisme », nous raconte Axelle de Russé. Photojournaliste aguerrie, elle a réalisé de nombreux reportages et projets au long cours primés, comme ceux traitant du retour des concubines en Chine, des femmes victimes de violences sexuelles dans l’armée française, ou encore de la pratique de la GPA en Ukraine. Depuis 2016, elle se passionne pour le Grand Nord et se rend une dizaine de fois à Longyearbyen, en Norvège. Cette ville est aux avant-postes des dérèglements climatiques et doit s’adapter sans cesse aux changements de son environnement : recul de la banquise qui modifie la migration des 3000 ours polaires de la région, disparition de la neige qui laisse place à des pluies torrentielles et des coulées de boues… L’augmentation des températures s’est aussi accompagnée d’un autre phénomène moins attendu : le développement fulgurant du tourisme.
Une autre facette d’un monde bientôt perdu
Mais comment rendre compte de cette transformation, souvent lente et peu spectaculaire visuellement ? La photographe a dû expérimenter de nouveaux procédés, véritable tournant dans sa pratique du photojournalisme. « Lorsque j’ai atterri la première fois à Longyearbyen, il était midi et nous étions dans l’obscurité la plus complète. J’ai alors décidé de jouer sur l’atmosphère spéciale de la nuit polaire, pesante et énigmatique, donnant une sensation de fin du monde. Quelque temps plus tard, je me suis fait voler mes disques durs, et n’ai pu sauver que douze photos de mes premiers voyages. Il fallait que j’y retourne, en trouvant une nouvelle technique, cette fois pour le jour polaire. J’ai choisi l’infrarouge, habituellement utilisé dans des endroits où la végétation est luxuriante. J’étais curieuse du résultat dans un endroit désertique et froid », explique-t-elle. L’infrarouge a la capacité de faire apparaître ce qui n’est pas perceptible à l’œil humain en transformant la colorimétrie de l’image : les points les « plus chauds » deviennent alors magenta. Grâce à ce procédé, les photographies d’Axelle de Russé offrent un aspect particulièrement onirique. Elle transcende les paysages classiques de l’Arctique et nous invite à observer une autre facette de ce monde bientôt perdu. Aujourd’hui, elle poursuit ce travail traitant du réchauffement climatique à Puerto Williams, ville habitée la plus au sud de la Terre, en Patagonie chilienne, et montre ainsi deux réalités jumelles à chaque extrême de notre planète.