Arktis : la dystopie polaire d’Axelle de Russé

12 décembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Arktis : la dystopie polaire d’Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé

Pendant huit ans, la photographe Axelle de Russé a suivi l’évolution du réchauffement climatique en Arctique, une réalité qui chaque jour menace un peu plus ce fragile écosystème. Sa série Arktis, sorte de dystopie polaire, cherche à nous révéler des phénomènes souvent invisibles à l’œil nu.

D’étranges lumières percent la nuit polaire. Des aurores boréales dansent par-dessus les toits de la petite ville de Longyearbyen, la plus au nord du monde. Durant quatre mois complets, ses 2000 habitant·es, mineur·es, aventurier·es et scientifiques, ne verront pas le jour. Mais ce n’est pas ce qui les inquiète, la vraie menace, c’est le réchauffement climatique. Depuis 1960, les températures ont augmenté de 8°C en été et 6°C en hiver. « Au départ, l’archipel de Svalbard était un désert de glace, isolé et inhabité, fréquenté uniquement par des pêcheurs de baleines. Jusqu’à ce qu’on y découvre du charbon et qu’une colonie de mineurs s’y installe. Aujourd’hui, une seule mine est toujours en activité et le site attire surtout des scientifiques et des compagnies de tourisme », nous raconte Axelle de Russé. Photojournaliste aguerrie, elle a réalisé de nombreux reportages et projets au long cours primés, comme ceux traitant du retour des concubines en Chine, des femmes victimes de violences sexuelles dans l’armée française, ou encore de la pratique de la GPA en Ukraine. Depuis 2016, elle se passionne pour le Grand Nord et se rend une dizaine de fois à Longyearbyen, en Norvège. Cette ville est aux avant-postes des dérèglements climatiques et doit s’adapter sans cesse aux changements de son environnement : recul de la banquise qui modifie la migration des 3000 ours polaires de la région, disparition de la neige qui laisse place à des pluies torrentielles et des coulées de boues… L’augmentation des températures s’est aussi accompagnée d’un autre phénomène moins attendu : le développement fulgurant du tourisme.

© Axelle de Russé
© Axelle de Russé

Une autre facette d’un monde bientôt perdu

Mais comment rendre compte de cette transformation, souvent lente et peu spectaculaire visuellement ? La photographe a dû expérimenter de nouveaux procédés, véritable tournant dans sa pratique du photojournalisme. « Lorsque j’ai atterri la première fois à Longyearbyen, il était midi et nous étions dans l’obscurité la plus complète. J’ai alors décidé de jouer sur l’atmosphère spéciale de la nuit polaire, pesante et énigmatique, donnant une sensation de fin du monde. Quelque temps plus tard, je me suis fait voler mes disques durs, et n’ai pu sauver que douze photos de mes premiers voyages. Il fallait que j’y retourne, en trouvant une nouvelle technique, cette fois pour le jour polaire. J’ai choisi l’infrarouge, habituellement utilisé dans des endroits où la végétation est luxuriante. J’étais curieuse du résultat dans un endroit désertique et froid », explique-t-elle. L’infrarouge a la capacité de faire apparaître ce qui n’est pas perceptible à l’œil humain en transformant la colorimétrie de l’image : les points les « plus chauds » deviennent alors magenta. Grâce à ce procédé, les photographies d’Axelle de Russé offrent un aspect particulièrement onirique. Elle transcende les paysages classiques de l’Arctique et nous invite à observer une autre facette de ce monde bientôt perdu. Aujourd’hui, elle poursuit ce travail traitant du réchauffement climatique à Puerto Williams, ville habitée la plus au sud de la Terre, en Patagonie chilienne, et montre ainsi deux réalités jumelles à chaque extrême de notre planète.

© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
© Axelle de Russé
À lire aussi
Charles Xelot et les marins qui se confrontent à l'Arctique
© Charles Xelot
Charles Xelot et les marins qui se confrontent à l’Arctique
Spécialisé dans les environnements extrêmes depuis une dizaine d’années, Charles Xelot a longtemps travaillé sur les changements de…
26 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans l’œil d’Émilie Möri : la menace glaçante de l'inaction
© Émilie Möri
Dans l’œil d’Émilie Möri : la menace glaçante de l’inaction
Cette semaine, plongée dans l’œil d’Émilie Möri, photographe française qui se plaît à composer des images aux teintes édulcorées, portées…
01 janvier 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
Samuel Bollendorff : comment alerter sur la crise écologique ?
#paradise - curateur : Samuel Bollendorff.
Samuel Bollendorff : comment alerter sur la crise écologique ?
Le festival de photojournalisme Visa pour l’image revient pour sa 37e édition jusqu'au 14 septembre 2025. Parmi les 26 expositions...
12 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et  Stéphanie Labé
Respirer © Jeanne-Lise Nédélec
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé
Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé, nos coups de cœur de la semaine, voient dans les paysages naturels un voyage introspectif, une...
01 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Keepers of the Ocean © Inuuteq Storch
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Photographe inuit originaire de Sisimiut, Inuuteq Storch déconstruit les récits figés sur le Groenland à travers une œuvre sensible et...
30 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
© Chiara Indelicato, L'archipel, Bourses Ronan Guillou, 2024
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
Du 20 septembre au 30 octobre 2025, The Eyes inaugure, en Occitanie, la première édition de FLOW, un parcours inédit consacré à la...
27 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
17 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
© Sara Lepore / Instagram
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
La maison se fait à la fois abri du monde et porte vers le dehors, espace de l’intime et miroir de nos modes de vie. Les artistes de...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
5 coups de cœur qui témoignent d'un quotidien
I **** New York © Ludwig Favre
5 coups de cœur qui témoignent d’un quotidien
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
15 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet