Raphaëlle Peria et Fanny Robin, l’artiste et la curatrice lauréates de la quatrième édition du BMW ART MAKERS, ont ouvert les portes de leur atelier pour dévoiler les premières images de Traversée du fragment manquant. Une fois achevée, la série sera exposée tout l’été aux Rencontres d’Arles avant d’être présentée à Paris Photo à l’automne.
Ce mardi 8 avril, Raphaëlle Peria nous a accueillis à Poush, à Aubervilliers. Il est rare que l’artiste-plasticienne ouvre les portes de son atelier. Même sa galeriste, Claudine Papillon, ne peut s’y rendre que peu souvent, indique-t-elle en riant. Seulement, cette journée s’avère particulière, car elle dévoile les premières œuvres de Traversée du fragment manquant à la presse. Au total, une vingtaine de pièces sera exposée entre juillet et novembre. Cette série est née dans le cadre de la quatrième édition du BMW ART MAKERS, qu’elle a remportée, il y a quelques mois, en duo avec la curatrice Fanny Robin. Comme le veut le programme de mécénat dédié aux arts visuels et à l’image contemporaine, le projet primé résulte d’une expérimentation qui croise les approches et les regards. Au cœur des compositions se trouvent des problématiques actuelles. Ici, il s’agit « d’un moment de bascule de notre écosystème », explique-t-elle.
Des réminiscences qui traversent les œuvres
Traversée du fragment manquant prend racine dans le canal du Midi, là où se trouve l’un des plus anciens souvenirs de Raphaëlle Peria. Celui-ci remonte à l’enfance, quand elle jouait à bord de la péniche sur laquelle vivait son père. L’intérieur du bateau se reflétait sur la vitre qui donnait sur les platanes qui stabilisent les berges. À cause d’un champignon microscopique qui entraîne leur dépérissement, les arbres, vieux de deux siècles, vont bientôt disparaître. Puisqu’aucun traitement ne peut les sauver, ils seront remplacés par d’autres espèces. Le site, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, est donc voué à se transformer. Cette réalité a inspiré un projet autour de la mémoire à l’artiste. À cet effet, elle entremêle des tirages issus de ses archives familiales à des photographies qu’elle a réalisées sur place, trente ans plus tard. Les images sont ensuite retravaillées avec une technique de grattage avec laquelle elle s’est familiarisée lorsqu’elle étudiait aux beaux-arts. C’est la première fois que son corpus inclut des clichés qui ne sont pas les siens.
Sur les établis, dans l’intimité de l’atelier, se découvrent ainsi ces éléments constitutifs. Un album de famille, rempli d’images prises par son père et son grand-père où elle apparaît enfant, côtoie des recueils de poésie, des carnets, des ébauches et des outils de gravure sur bois ou sur cuivre. Nous retrouvons même du matériel de dentiste qui rappelle la profession de sa mère. Les réminiscences du passé semblent traverser les œuvres. La surface de chacune d’elles a été grattée. Le feuillage et les troncs se parent de motifs immaculés.« Pour l’historien de l’art Michel Pastoureau, le blanc est la couleur de l’oubli », souligne-t-elle. Ce procédé lui permet de révéler ce qui disparaît, mais également de générer un relief, un soulèvement de la matière qui donne à voir le bruissement de la nature. Certaines compositions utilisent du papier cuivré qui rappelle les taches de la même couleur qui abîment les platanes malades. L’ensemble éveille les sens. Nous aurions envie de toucher ces créations délicates afin de mieux les éprouver. Aux Rencontres d’Arles, puis à Paris Photo, elles prendront place sur des plaques transparentes qui évoqueront la vitre du bateau qui a bercé sa jeunesse. Un jeu sur les différentes échelles s’imposera comme un moyen d’insuffler des moments de respiration ou une pause contemplative qui ravira, sans aucun doute, celles et ceux qui arpenteront le festival ou la foire internationale.