Avec sa série Bouche, Lucile Boiron, formée à l’École nationale supérieure Louis-Lumière, s’intéresse de près à la peau, aux fluides et aux corps pour révéler les histoires organiques qui s’y cachent.
À travers sa série, Lucile Boiron nous entraîne dans un monde sans mot, où tout passe par la peau, les fluides et les textures. La bouche devient un passage, une frontière poreuse entre le dedans et le dehors. Lieu d’échange, de plaisir, de survie. C’est la bouche de l’enfant, de la mère, de la femme, confondues, entremêlées, inséparables. Ici, les corps ne sont plus des corps. Ils deviennent fragments, matières, couleurs. Nous ne savons plus ce que nous voyons, mais nous ressentons chaque image intensément. Les gros plans effacent la distance et plongent le regard dans la matière. Ça colle, ça respire, ça vibre. Lucile Boiron ne montre pas, elle expose et tisse l’ambiguïté. Elle donne à sentir. Sa lumière crue, presque violente, éclaire ce qui d’ordinaire reste caché : la tendresse trouble, la beauté absurde, l’étrangeté du familier. Bouche ne raconte pas une histoire, elle en murmure mille. Des histoires viscérales, primitives, organiques, enfouies sous les tréfonds de l’enveloppe corporelle.
La chair et la confusion des formes
Formée à l’ENS Louis-Lumière, Lucile Boiron a très tôt ressenti le besoin de s’écarter de la pure technicité du médium au profit d’une pratique plus personnelle. « La série WOMB réalisée en 2018, a marqué cette bascule : je la perçois comme une œuvre inaugurale où la chair et la confusion des formes occupaient déjà une place centrale. Depuis, je poursuis cette exploration du vivant et de ses débordements », relate l’artiste. Cet engagement artistique se construit sur un équilibre qu’elle définit comme plutôt instable. « Néanmoins, mon travail de commande m’apporte une forme de stabilité financière et me permet d’aménager des espaces-temps consacrés à ma pratique artistique », confie-t-elle.
Curieuse du regard des autres, elle s’inspire aussi de figures qui font écho à ses préoccupations. L’hiver dernier, elle a redécouvert Jacques-André Boiffard à l’occasion de l’exposition dédiée au centenaire du surréalisme au centre Pompidou. La frontalité crue de ses fragments corporels, publiés dans Documents, l’a marquée. Avec Bouche, désormais disponible chez Art Paper Editions, Lucile Boiron prolonge cette exploration viscérale du vivant, offrant un livre à la lisière du sensible et du tangible où chaque image semble naître d’un murmure, d’une pulsation, d’un contact, fidèle à la tension poétique et organique qui caractérise l’ensemble de son travail.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #71.