Catherine Duverger écoute une rivière en lutte

18 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III
Catherine Duverger écoute une rivière en lutte
Pastiche publicitaire / La Seiche, surimpression argentique © Catherine Duverger
portrait d'une femme qui fait face à l'objectif, sur cyanotype
Inès Léraud, journaliste et documentariste © Catherine Duverger

À travers un projet qui mêle enquête de terrain et expérimentation photographique, Catherine Duverger dévoile les couches invisibles d’un désastre écologique qui affecte la rivière de la Seiche. Elle tente ainsi de raviver la mémoire d’un paysage oublié, hanté par la pollution et le silence. 

Depuis qu’elle a quitté la sculpture pour explorer le 8e art dans les années 2000, Catherine Duverger interroge ce qui hante les lieux, les paysages et les êtres. Publié aux éditions Sur la Crète, Hantises est le fruit d’un travail mené entre 2021 et 2022 en résidence au Carré d’Art de Chartres-de-Bretagne, en Ille-et-Vilaine. Avec cette série, elle choisit de suivre une rivière d’apparence anodine : la Seiche. Discrète, sinueuse, paisible en surface, elle porte pourtant en elle les traces d’un désastre : en 2017, l’usine Lactalis de Retiers y a déversé pendant plusieurs jours des eaux usées chargées de lactose. Les conséquences écologiques sont alors immédiates, la faune et la flore lourdement impactées. Surprise par le silence qui entoure cet événement, Catherine Duverger mène l’enquête. Que s’est-il passé ? Qui s’en est soucié ? 

Elle rencontre celles et ceux qui ont tenté d’alerter : des pêcheurs, des technicien·nes qui tentent d’améliorer les berges, des scientifiques qui étudient la rivière ou encore des journalistes, comme Inès Léraud, qui ont enquêté sur cette pollution… Parmi eux, on trouve également les membres de la Fédération de pêche qui ont porté l’affaire en justice. « Ces derniers ont beaucoup milité pour que cette affaire ne soit pas étouffée », confie-t-elle. Le procès, bien que gagné, n’a pourtant débouché que sur une compensation dérisoire, sans véritable reconnaissance du préjudice causé par cet épisode. La photographe croise également le chemin de Richard Pellerin, technicien à la Fédération d’Ille-et-Vilaine, marqué par la gestion de la chose : « Ils ont envoyé une toute petite barque avec deux personnes et pas de matériel, comme si c’était une “petite bêtise” », lui raconte-t-il. Pour rendre compte de ces témoignages, Catherine Duverger réalise des cyanotypes en surimpression : des portraits des personnes rencontrées, mêlés aux images de la Seiche. Les portraits s’ancrent dans le paysage, une belle manière de faire émerger une image à la fois sensible et politique de la responsabilité.

image de jeunes au bord de l'eau
Baignade / La Seiche, surimpression argentique © Catherine Duverger
une petite fille boit du lait, image superposée sur une image de rivière
Pastiche publicitaire / Nuages, surimpression argentique © Catherine Duverger
image de nuages
Nuages / La Seiche, Chartres de Bretagne, surimpression argentique © Catherine Duverger
Un bouquet de particules fines, image superposée sur celle d’un champ de maïs
Effets du Glyphosate / champs de maïs, Chartres-de-Bretagne, surimpression argentique © Elsevier, Hagai Yasuor, Joseph Riov, Baruch Rubin © Catherine Duverger

Dire la catastrophe

Hantises est structuré en trois axes. Le premier, documentaire, capte la rivière de façon brute. Le deuxième utilise des données trouvées en ligne – coupures de presse, photos, publications scientifiques – qu’elle réintroduit dans le paysage par le biais de surimpressions, pour créer une tension pixelisée entre les images numériques, à la qualité mauvaise, voire gênante, et les images argentiques. Le troisième, en studio, rejoue les codes de l’imagerie publicitaire romantique, non sans une pointe d’ironie : la célèbre laitière, inspirée de La Laitière (vers 1658) du peintre Johannes Vermeer, y verse son lait directement dans la rivière. Des scientifiques, tout sourire, se regardent, à l’instar des clichés que l’on peut retrouver sur le site en ligne de Lactalis. « J’ai voulu créer ces photos pour parler de ce qui pèse sur la rivière : notre regard capitaliste, l’exploitation dont elle fait l’objet. J’ai été profondément marquée par l’ouvrage Être la rivière, dans lequel l’auteur, Sacha Bourgeois-Gironde, envisage la possibilité que la rivière devienne une entité légale, capable de se représenter elle-même ou d’être représentée par des personnes », confie-t-elle.

En chemin, l’artiste prend conscience que la pollution de la Seiche ne se limite pas à un accident industriel : fertilisants, hydrocarbures, pesticides, métaux lourds… Il s’agit en réalité d’une contamination diffuse et continue. Comme le formule Hugo Kostrzewa dans le texte qui accompagne les images du livre, « il y a un peu de chacun de nous dans la rivière ». L’enquête devient alors plus vaste : « Comment celle-ci est-elle prise en charge par les citoyen·nes ? Et comment est-elle impactée par notre quotidien ? » Avec Hantises, Catherine Duverger donne forme à une inquiétude partagée, celle de voir nos milieux vivants lentement empoisonnés. Une écoanxiété qu’elle transforme en acte artistique et en regard engagé : « J’aime cette idée d’action plutôt que d’anxiété, de faire contempler la catastrophe. Travailler là-dessus dynamise beaucoup mon travail », révèle-t-elle. Son œuvre, à la fois poétique et militante, invite à regarder en face ce que nous préférerions souvent ignorer. Elle réveille la mémoire invisible de la Seiche et, avec elle, notre propre responsabilité.

Éditions Sur la crête
48 pages
25 €
une femme mange une tartine, image brouillée
Pastiche publicitaire / Nuages, surimpression argentique © Catherine Duverger
des hommes et femmes en blouse blanche se font face et rient ensemble
Pastiche publicitaire / La Seiche, surimpression argentique © Catherine Duverger

À lire aussi
« Mers et Rivières », le monde au fil de l’eau
« Mers et Rivières », le monde au fil de l’eau
Avec Mers et Rivières, Andreas Müller-Pohle dresse un état des lieux des grands courts d’eau de la planète. À travers trois séries…
03 décembre 2021   •  
Écrit par Julien Hory
Quand les photographes mettent en image l’ampleur de la crise environnementale
© Maude Girard
Quand les photographes mettent en image l’ampleur de la crise environnementale
Incendies, sécheresses, inondations, pollution… Aux quatre coins du monde, la nature multiplie les signaux de détresse. Inspiré·es par…
06 mars 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Explorez
BMW ART MAKERS : Raphaëlle Peria et Fanny Robin dans les méandres de la mémoire 
« Le reflet de ce qu'il reste », grattage sur photographie, 40 x 60 cm © Raphaëlle Peria / BMW ART MAKERS 2025
BMW ART MAKERS : Raphaëlle Peria et Fanny Robin dans les méandres de la mémoire 
Comme à l’accoutumée, c’est aux Rencontres d’Arles que le projet récompensé par le programme de mécénat BMW ART MAKERS a été dévoilé au...
22 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Totems de mémoire en forêt © Alexandre Dupeyron
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
À l’écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° – La forêt après le feu du collectif LesAssociés, pose une...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Hendrik Paul : un besoin de nuit
© Hendrik Paul, Dark Light
Hendrik Paul : un besoin de nuit
Avec Dark Light, Hendrik Paul signe un livre de photographie argentique en noir et blanc, publié chez Datz Press, qui explore la nuit, le...
17 juin 2025   •  
Écrit par Milena III
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
© Fisheye Magazine
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
Sebastião Salgado est décédé ce vendredi 23 mai 2025 à l’âge de 81 ans. Tout au long de sa carrière, le photographe a posé un regard...
26 mai 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L'esthétique des luttes en photographie
L'arrestation du féroce chef mafieux Leoluca Bagarella, Parlerme, 1979. © Letizia Battaglia
L’esthétique des luttes en photographie
La photographie est un acte délibéré. Sa fabrication n’est qu’une suite de choix, d’exclusion et d’inclusion, de cadrage, de point de...
24 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Os batismos da meia-noite © Joan Alvado
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Le photographe espagnol Joan Alvado compose des essais photographiques où l’étrange, le mythe et la légende s’entremêlent. S’inspirant...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Bleu Comme Une Orange © Lola Cacciarella
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Depuis quatorze ans, les Zooms du Salon de la photo mettent en lumière la création photographique. Cette année, Fisheye soutient le...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
© Claudia Andujar. De la série A Sõnia, São Paulo, SP, vers 1971. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Instituto Moreira Salles
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
Présentée à la Maison des Peintres dans le cadre des Rencontres d’Arles jusqu’au 5 octobre 2025, À la place des autres revient sur...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III