Chacun son arbre, chacun son foyer

03 mars 2022   •  
Écrit par Anaïs Viand
Chacun son arbre, chacun son foyer

Meubler les arbres, telle est la mission que s’est donnée Kíra Krász. L’artiste hongroise présente au Hangar, à l’occasion du PhotoBrussels Festival, et de l’exposition collective In the Shadow of Trees, son travail intitulé A Living Sense of Home. Un projet délicat où expérimentation et réflexion vivent en symbiose. Un hommage aux arbres à découvrir jusqu’au 26 mars !

Enfant ou non, on a tous un abri réel ou imaginaire. Le refuge de Kíra Krász ? Les arbres. « Je me sens heureuse avec eux, sur eux, et à l’intérieur d’eux », annonce la photographe hongroise. Si elle a obtenu son diplôme de photographie au Royaume-Uni en 2019, l’artiste a depuis regagné sa maison natale, proche de la forêt. Dans cet environnement protecteur, elle crée des œuvres où l’arbre devient un foyer propice à la réflexion. « Je photographie tout ce dont j’ai envie. Et je n’ai pas peur de modifier ce que je vois pour compléter une idée ou une expérience ». Dans son projet intitulé A Living Sense of Home, elle assemble archives et images de son cru et assume son amour du végétal, des arbres. « J’aime le fait qu’ils travaillent si dur sans qu’on s’en rende compte. Ils supportent beaucoup de pression – le poids des branches et le vent notamment – sans jamais se plaindre. Et même quand ils sont amputés, ils se débrouillent, et continuent de développer leurs racines ». Comme bien d’autres peintres et photographes, Kíra Krász a compris l’importance de l’arbre dans la constitution d’un paysage et du lien unissant l’homme à la terre. Cette fascination est née il y a un an. « Alors obligée de prendre le volant, j’ai commencé à observer les arbres autour de moi. Je m’arrêtais en chemin pour les photographier, et quand cela m’était impossible je notais leur emplacement afin de pouvoir revenir plus tard. Plus je m’approchais d’eux et plus ils se révélaient à moi. »

© Kíra Krász© Kíra Krász

Identifier ses besoins pour vivre

En ces temps sombres, ce projet rappelle qu’il y a de la beauté partout autour de nous et qu’il nous faut prendre le temps de regarder. Convaincue qu’il est beau d’« apprendre à aimer les choses que nous avons déjà », l’auteure développe une proposition symbolique, bien que littérale. Les forêts meublent la Terre, les arbres meublent les forêts. Alors, Kíra Krász a choisi de « meubler les arbres ». De la charpente jusqu’à notre mobilier, en passant par nos planchers, le bois fait partie intégrante de nos habitats. Les arbres participent à notre confort et à notre protection. Ils structurent nos maisons comme nos vies et assurent un lien entre le passé, le présent, et le futur – ce sont eux les plus vieux êtres vivants ! À travers ses pièces uniques, elle « ouvre » les arbres aux humains et propose une symbiose où il appartient à chacun d’identifier ses besoins pour vivre, survivre. Car les corps, qu’ils soient humains ou végétaux, doivent être nourris. L’artiste ne donne là aucune leçon morale, mais ses expérimentations questionnent inévitablement notre rapport à la biodiversité, à l’environnement, et plus largement à l’humanité. Les arbres, au même titre que les hommes, sont des hôtes accueillis par notre chère planète et méritent aussi un peu d’amour et de protection. Comment prendre soin des conifères quand l’homme est incapable d’aimer ses frères ? Comment respecter l’autre quand il est difficile de s’écouter soi-même ?

© Kíra Krász

« Noah’s Dry – Land Flood Refuge »

Relâchez vos feuilles, et détendez-vous

Les questions s’empilent au même titre que les strates dans les créations de Kíra Krász. Et pourtant, en contemplant ses arbres personnifiés on se surprend à penser qu’une cohabitation est possible. Un vent d’optimiste soufflé par l’artiste elle-même qui nous conte, entre autres, l’histoire d’un oranger Osages situé au sein du grand parc de l’île Marguerite, à Budapest. « C’est un arbre qui donne les fruits les plus étranges que je connaisse et qui a fait l’objet de plusieurs cauchemars durant mon enfance. Celui que j’ai photographié a survécu à une grande inondation en 1838. L’île a été recouverte de limon sur plus d’un mètre d’épaisseur. Il a fallu beaucoup de temps à la nature pour s’en remettre. L’arbre fruitier s’est déformé à la suite de cet événement. En composant « Noah’s Dry – Land Flood Refuge », j’ai pensé à l’abri qu’il avait pu offrir aux insectes et autres bestioles durant la catastrophe. » Les collages de Kíra Krász témoignent d’une forme de résilience derrière la fragilité apparente et réveillent l’enfant sommeillant en nous. « Si je pouvais parler à mes modèles favoris, je leur dirais “Inclinez-vous un peu vers la gauche, tendez vos bras. Je vais compter jusqu’à trois. À la fin de mon décompte, relâchez vos feuilles, et détendez-vous.” » Merci. C’est cela que j’aimerais leur dire quant à moi. J’aimerais aussi leur expliquer à quel point ils ont participé à l’écriture de l’histoire de la photographie… Et vous, quel serait votre message ?

PhotoBrussels Festival, à découvrir jusqu’au 26 mars au HANGAR

© Kíra Krász© Kíra Krász

À g. « Willow Sweeping Dreams » et à d. « Walnut Lodge »

© Kíra Krász© Kíra Krász

© Kíra Krász

Explorez
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
© Fisheye Magazine
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
Sebastião Salgado est décédé ce vendredi 23 mai 2025 à l’âge de 81 ans. Tout au long de sa carrière, le photographe a posé un regard...
26 mai 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
© Thomas Amen
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye célèbrent la Terre. Dans des approches disparates, les photographes évoquent...
27 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
© William Henry Jackson, 1870 et Joanna Corimanya, Anahi Quezada, et Town Peterson, 2024.
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
En septembre 2024, le géologue Jeff Munroe et l’écologiste Joanna Corimanya entreprenaient un trek de 50 kilomètres dans la toundra des...
23 avril 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Politique : bousculer les regards sur le travail du sexe
Petra, du livre Politique © Jeanne Lucas
Politique : bousculer les regards sur le travail du sexe
Jeanne Lucas révèle Politique, son premier livre publié aux éditions Rue du Bouquet, un projet cocréé main dans la main avec des...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
La Fabrique du Regard – Le Festival #3 : La jeunesse face au pouvoir de l'image
Nos Iris © Julia Borderie & Eloïse Le Gallo
La Fabrique du Regard – Le Festival #3 : La jeunesse face au pouvoir de l’image
Du 3 au 8 juin, le Bal se transforme en un espace d’échange et de transmission à l’occasion de la 3e édition de La Fabrique du Regard –...
06 juin 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
12 expositions photographiques à découvrir en juin 2025
Vietnam, 1971 © Marie-Laure de Decker
12 expositions photographiques à découvrir en juin 2025
L’arrivée de l'été fait également fleurir de nombreuses expositions. Pour occuper les journées chaleureuses ou les week-ends, entre deux...
05 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La MAZ recompose la map
© Shai Andrade, Omi Ori, 2022
La MAZ recompose la map
Pensée dans la continuité des Rencontres photographiques de Guyane, la Maison de la photographie Guyane-Amazonie (MAZ) ouvrira ses portes...
05 juin 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty