Comme à l’accoutumée, Chaumont-Photo-sur-Loire investit le domaine qui inspire son nom le temps de la saison froide. Six photographes vous y proposent une promenade contemplative en plein cœur de la nature, à découvrir jusqu’au 25 février 2024.
Pour la sixième année consécutive, le domaine de Chaumont-sur-Loire accueille son propre festival de photographie. Comme pour rendre hommage à la beauté sereine des lieux, celui-ci donne à voir différentes facettes de la nature, souvent méconnues de la plupart d’entre nous. Par le prisme des tirages, au nombre de 158 cette année, la manifestation invite ainsi son public à redécouvrir le monde alentour avec poésie. Le singulier voyage proposé pour cette nouvelle édition a pour guides Éric Poitevin, Bae Bien-U, Ljubodrag Andric, Loredana Nemes, Nicolas Floc’h et Thierry Ardouin. Selon les approches qui leur sont propres, les six photographes ont sondé le paysage pour en faire émerger les merveilles, précieuses et fragiles, auxquelles il convient de prêter davantage attention. « Hors de tout contexte, l’image parle d’elle-même. Sans repères, l’œil s’investit, tandis que l’esprit s’enthousiasme de curiosité », assure Chantal Colleu-Dumond, la commissaire d’exposition.
Des espaces de sérénité
Notre déambulation poétique commence par les fragments de nature d’Éric Poitevin. Devant nous figurent d’abord des forêts foisonnantes qui, au détour d’un couloir, s’apparentent à de larges fenêtres donnant sur le monde. À mesure que nous avançons, les cimaises s’agrandissent tandis que les sujets se font de plus en plus solitaires. Nous découvrons finalement des fleurs des champs, seules sur fond blanc, que personne ne perçoit d’ordinaire. Le regard s’ouvre alors et contemple les formes graciles qui s’offrent à lui. Nous marquons ensuite une halte devant les architectures picturales de Ljubodrag Andric, qui se distinguent par leurs nuances d’ors et de roses et révèlent également de nouveaux motifs. De retour dans cette civilisation qui, ici, paraît inhabitée, les bâtisses, prises en Inde comme en Italie, se confondent. Elles jouent avec les perspectives et les proportions jusqu’à créer une tension qui ne semble se résoudre que dans l’abstraction.
Le mystère se prolonge chez Bae Bien-U et de Loredana Nemes, dont les œuvres monochromes font preuve d’un onirisme marqué. Les clichés du premier esquissent des collines volcaniques traversées par des nuées blanches ambiguës, pareilles à un regroupement volatile de ces graminées que nous retrouverons par la suite. Ceux de la seconde représentent quant à eux les hêtres, immortalisés au fil des saisons, d’une petite île sur laquelle Caspar David Friedrich avait l’habitude de se retirer pour peindre. Au sein de cet espace de sérénité, les souvenirs s’entremêlent et nouent un dialogue avec les éléments naturels qui composent cette terre immergée. Perçus par la photographe comme de véritables paysages-états d’âme, les tableaux se font également vanités et renvoient au cycle de la vie.
Le réenchantement des imaginaires
D’une tout autre manière, Thierry Ardouin s’intéresse à ces mouvements de l’existence. De fait, depuis qu’il a découvert, en 2009, le catalogue officiel des espèces et variétés végétales qui recense, entre autres choses, les graines qu’il est autorisé de planter dans l’Hexagone, le photographe a développé un attrait particulier pour cet univers. Fruit d’une mise au point étudiée, ses images donnent à voir les contours de ces semences. Loin d’être anodins, ces derniers indiquent notamment leur manière de se déplacer et leurs origines, et témoignent, en contrepoint, d’un charme qui échappe à l’œil humain. Nicolas Floc’h, enfin, poursuit cette quête de représentation de l’invisible ou presque, en prenant pour muse les forêts d’algues qui habillent les fonds bretons. Cette architecture naturelle, entretenue par les dérèglements climatiques, n’est que très peu illustrée, et les imaginaires ont davantage en mémoire les images de la flore sous-marine exotique que celles de nos côtes françaises.
Comme le souligne Chantal Colleu-Dumond, si les éditions successives de Chaumont-Photo-sur-Loire ont en commun d’attirer l’attention sur la fragilité de nos écosystèmes, la célébration de l’imperceptible à laquelle s’adonne les artistes cette année font la part belle au réenchantement des imaginaires. « Cette sixième édition est volontairement plus silencieuse et méditative, qualités propices à provoquer l’émerveillement plutôt que la prise de conscience, tant nous sommes fondamentalement convaincus que notre société a besoin de beauté et de douceur », conclut-elle à juste titre.