Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les sujets qui les inspirent particulièrement. C’est aujourd’hui au tour d’Éloïse Labarbe-Lafon de nous introduire dans son univers coloré, peint et intimiste où la fabrique de l’image – et en particulier l’autoportrait – sert de thérapie.
Si tu devais ne choisir qu’une seule de tes images, laquelle serait-ce ?
Ce serait peut-être l’autoportrait où je force l’ouverture de mon œil avec deux doigts. C’est la couverture de mon premier livre photo. J’utilise l’autoportrait comme terrain de jeu pour documenter les états qui me traversent, pour arrêter le temps, pour combler un vide. Celui-ci avait eu un pouvoir calmant instantané lors d’un moment d’angoisse. Ensuite, les actions de développer le film, tirer la photo, la peindre érigent une préciosité autour de l’image et figent pour toujours l’effet thérapeutique qu’elle a eu.
La première photographie qui t’a marquée, et pourquoi ?
Quand j’étais enfant, je me rappelle que le Pentax argentique de mes parents était toujours à portée de main, jusqu’à ce qu’il disparaisse dans un cambriolage. Je me souviens non pas d’une photo en particulier, mais des énormes albums que ma mère remplissait et compilait. J’adorais leur poids, leur odeur et leur existence, peut-être encore plus que leur contenu.
Un shooting rêvé ?
J’en ai plusieurs, mais je dois les garder pour moi sinon ils ne se réaliseront pas !
Un ou une artiste que tu admires ?
Lee Miller. Pour sa carrière complète, sa force, sa volonté de ne pas se satisfaire du rôle de muse, sa contribution au surréalisme, sa pratique de l’autoportrait, son travail de reporter de guerre. Une immense artiste à qui je pense souvent quand je solarise des images dans ma chambre noire.
Une émotion à illustrer ?
Une mélancolie dévorante, un état intérieur que l’image peut rendre visible.
Un genre photographique, et celui ou celle qui le porte selon toi ?
Il est difficile de se limiter à un genre. Il y a la photo pictorialiste avec Henry Peach Robinson et Gertrude Käsebier ainsi que leur descendante Sarah Moon. Il y a la photo surréaliste avec Dora Maar et Man Ray, et enfin l’autoportrait, porté par des artistes comme Cindy Sherman et Francesca Woodman ou encore Sophie Calle, qui explore ce genre et documente l’intime sans se cantonner à la photographie.
Un territoire, imaginaire ou réel, à capturer ?
Les chambres d’hôtel. Ces espaces anonymes et neutres, paradoxalement infusés d’énergies diverses et troublantes. Ces territoires relèvent simultanément du réel et de l’imaginaire. J’ai réalisé un projet d’autoportraits sur 42 chambres de motels dans lesquelles j’ai dormi, intitulé Motel 42.
Une thématique que tu aimes particulièrement aborder ?
L’autoportrait permet de sonder les archétypes et l’intimité. J’aime que mon visage et mon corps deviennent un moyen d’exprimer des émotions allant au-delà de ce que je suis, jusqu’à ce que je ne me reconnaisse plus dans les images. Je m’intéresse plus largement à la fusion du réel et de la mise en scène dans une exploration des identités, de la mémoire, du temps et de la narration.
Un événement artistique que tu n’oublieras jamais ?
Encore un retour en enfance ! Mon premier souvenir d’exposition, à 6 ans, en 2001. J’étais toute petite dans le musée des Abattoirs de Toulouse et découvrais l’exposition immersive de Yayoi Kusama. L’art s’était répandu partout pour devenir mon environnement, comme un monde libre où la couleur et la sensorialité prenaient le dessus sur tout le reste.
À l’inverse, pour citer un événement très récent, je dirais Julia Margaret Cameron au Jeu de Paume en 2023-2024. J’ai passé des heures devant les tirages, avec l’impression de contempler les plus beaux fantômes du monde.
Une œuvre d’art qui t’inspire particulièrement ?
La bande originale d’Almanach d’automne (1984, Béla Tarr) par Mihály Vig. Et toutes celles qu’il a réalisées pour les films de Béla Tarr.