« Cette jeune femme dans sa vingtaine pourrait être ma mère, et c’est peut-être ça qui m’a touché quand j’ai trouvé ce cliché : je me sens proche d’elle sans la connaître. »
176 pages
350 photographies couleur
50 €
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Matthieu Nicol, dont l’ouvrage Fashion Army sort ce mois-ci chez SPBH Editions. Dans ce nouveau volume, l’iconographe a rassemblé des images de prototypes d’uniformes et d’équipements militaires dont on ne sait rien si ce n’est qu’elles ont été réalisées entre la fin des années 1960 et le début des années 1990 pour le Natick Soldiers Systems Center, le centre de recherche et développement de l’armée américaine. Pour Fisheye, il revient sur l’une de ces photographies qui pourraient être issues d’un magazine de mode.
« Voici une image a priori bien banale. Bien datée aussi : une photo de studio, cadrée de pied, figurant une jeune femme au large sourire fixant l’objectif. La couleur du fond et le style vestimentaire du modèle, avec ce pantalon pattes d’eph recouvrant entièrement ses chaussures, nous permettent sans l’ombre d’un doute et sans l’aide d’une légende de situer cette scène dans les années 1970. Cette jeune femme dans sa vingtaine pourrait être ma mère, et c’est peut-être ça qui m’a touché quand j’ai trouvé ce cliché : je me sens proche d’elle sans la connaître.
Mais que fait-elle dans cette pose contrainte ? La manière dont elle s’accroche à son sac à main ne semble pas naturelle. Son poing serre trop fort la lanière, on dirait qu’elle essaie de s’y retenir, et ce grand sourire crispé fait pointer une gêne communicative, qui suscite une forme de malaise, d’inquiétante étrangeté chez celui ou celle qui regarde. Il y a un truc qui cloche.
C’est que derrière ce look familier à l’esthétique vintage si séduisante se cache une autre histoire. La légende de l’image nous renseigne : “Sous-vêtement balistique pour femme, 1976.” L’objet de cette photo, c’est de montrer le prototype d’un gilet pare-balles dans lequel elle semble engoncée, s’adaptant tel un justaucorps à sa morphologie…
L’image fait partie d’un corpus de plusieurs milliers de négatifs récemment déclassifiés, provenant d’un centre de l’armée américaine chargé de mettre au point l’habillement des militaires. Leur ressemblance avec la production visuelle de l’industrie de la mode d’aujourd’hui est troublante. Une collection de portraits de modèles, pris sous toutes les coutures et dans toutes les positions, “déguisés” d’autant d’accessoires fonctionnels ou loufoques leur permettant de se préparer à la guerre avec les meilleures armures, les meilleures parures.
De cet ensemble, j’ai créé une galerie de costumes publiée dans le livre Fashion Army, et dans l’exposition éponyme à découvrir aux Rencontres d’Arles jusqu’au 29 septembre. »