À l’occasion des dix ans de Fisheye, les membres de sa rédaction reviennent, à tour de rôle, sur trois éléments qui les ont marqué·es : une rencontre, une œuvre photo, un événement. Lumière cette semaine sur la sélection d’Anaïs Viand, ex-rédactrice en chef web.
La rencontre : Wajdi Mouawad
Commissaires, consœurs journalistes, attachées presse…J’ai hésité à citer des entretiens avec celles et ceux qui jouent dans l’ombre. Ella Bats, SMITH, Jane Evelyn Atwood, Mathieu Pernot, Christine Spengler… J’ai eu la joie de vivre des rencontres intenses, intellectuellement et/ou émotionnellement. Quel terrible exercice que de choisir un nom tant la liste est infinie ! Je suis revenue sur le 7 février 2019, le jour où j’ai échangé 30 minutes avec Wajdi Mouawad, l’un de mes « héros » dans le monde du théâtre. Excitation et stress maximum. L’auteur, metteur en scène, comédien, mais aussi directeur de la Colline me reçoit dans son bureau avec simplicité et bienveillance. Derrière lui, un petit lit, c’est là qu’il se réfugie lorsqu’il a besoin de se retrouver ou de créer. Nous échangeons sur la collaboration avec Alain Willaume – un autre artiste que je respecte profondément – à l’occasion de l’exposition Mélancolie des collines, et son rapport à la photo. « Il y a toujours un livre photo à l’origine de mes créations. La photo s’est inscrite comme un impératif absolu » me confie l’homme du théâtre total. Je sors de cet entretien avec deux convictions : les frontières entre les arts doivent tomber et que je ne pourrai jamais choisir entre la photo et le théâtre.
La série : Vivants
En voilà une autre de belle rencontre : Matthieu Gafsou. Il est celui qui a signé Vivants : une série puissante sur la dégradation du monde, et notre place dans le vivant. Grâce à lui, j’ai lu des ouvrages passionnants traitant de la collapsologie, l’obsolescence, le survivalisme ou encore la solastalgie (« trouble anxieux lié à des phénomènes externes et en particulier aux changements environnementaux », ndlr). Au-delà de la théorie, le photographe franco-suisse nous ouvre les portes d’un monde sensible où se rencontrent des images et pratiques plurielles : reportages, interventions dans le paysage ou encore photos florales presque pastorales. J’ai signé un papier sur ce projet dans le Fisheye 39, mon article avait pour titre Dépasser l’angoisse du futur. Je ne sais toujours pas s’il est possible de dépasser ces angoisses contemporaines, mais avec Mathieu Gafsou, j’ai réalisé qu’il était possible de sublimer la solastalgie. Nous avons besoin d’artistes comme lui capables de dresser des typologies astucieuses, de partager un regard à la fois intime et militant. Vivants, c’est une interrogation cruciale : Comment donc s’engager pour éviter que les générations futures aient le pire des avenirs ?
L’évènement : le non Paris Photo 2020
2020, année Covid. Le monde est devenu complexe et incertain. Et couvrir l’actualité photo relevait d’un véritable défi. Pour pallier l’annulation de Paris Photo, le ministère de la Culture en association avec Paris Photo, et avec le soutien de Women In Motion a initié un parcours digital dédié aux femmes photographes : Elles X Paris Photo. Un programme opéré par Fisheye. Il s’agissait de mettre en avant des femmes photographes – encore et toujours – sous représentées dans le monde du 8e art. ORLAN, Sabine Weiss, Alison Rossiter, Charlotte Abramow, Laia Abril… Outre les quarante interviews filmées ou écrites avec des femmes ô combien inspirantes, j’ai défini les plannings et les budgets de production, échangé avec les agents et les galeries, et coordonné la création d’un site ressource. Je me souviendrai encore longtemps de mes quelques nocturnes avec des collègues aussi passionnés que moi. Si j’ai eu la chance de couvrir des festivals et expositions en France et à l’étranger durant mes années Fisheye, je souhaitais souligner ce projet digital, engagé et engageant. Car, faire du lien, créer du sens, c’est réunir à la portée de toutes et tous des travaux d’une portée politique essentielle.