Le site dédié à l’actualité de la photographie « de » et « en » Belgique, BrowniE, a ouvert un espace de partage et de témoignage à l’occasion du confinement. Chaque semaine, BrowniE dévoile une « Chronique d’un printemps ». Entretien avec Justine Montagner, fondatrice du site, pour l’occasion.
Fisheye : Quelle est la genèse du projet BrowniE ?
Justine Montagner : L’idée de BrowniE est née durant l’été 2016 à la suite d’un constat : l’absence d’un site internet consacré à l’actualité de la photographie « de » et « en » Belgique.
J’étais entourée de photographes qui proposaient des expositions ou des workshops, autoéditaient des livres… et qui manquaient d’un relais « spécialisé » pour leur actualité. Il y avait aussi des vides du côté des amateurs de photo. Aucun agenda consacré à la photo, permettant de faire une recherche d’expo par code postal par exemple, n’existait. À l’époque, trouver sur le web une simple liste des écoles de photo en Belgique était compliqué…
De nombreuses images et informations circulaient concernant la photo, entre comptes Instagram et sites culturels plus généralistes, mais aucun coin de web belge ne lui était véritablement dédié. Et pourtant, le dynamisme et la diversité de la photo made in Belgium méritaient une plateforme de valorisation !
Le site que je cherchais en tant qu’amoureuse de photographie n’existait donc pas… Alors je me suis dit « Bon bein on va le faire alors ! ».
Un mot concernant les fondateurs ?
Me concernant, je suis journaliste de formation, je travaille depuis plus de 15 ans dans la communication culturelle. L’image a toujours été présente dans les projets que j’ai développés en parallèle. J’ai notamment créé ou collaboré à de nombreux événements liés aux courts-métrages. Mais ma curiosité pour les « images fixes » et leurs auteur.e.s prend de plus en plus de place… La photographie est aussi un mode d’expression pour moi, mais ma pratique est modeste. Dessiner des traits d’union entre les images, leurs auteur(e)s, celles et ceux qui les aiment : c’est cela qui m’anime véritablement !
J’étais surmotivée par cette idée de site, mais incapable de le développer moi-même. J’ai contacté plusieurs webdesigners et Boris Spiers s’est immédiatement montré très enthousiaste, désirant s’investir dans BrowniE bien au-delà de la prestation de services. Nous avons créé BrowniE tous les deux.
Diplômé en arts graphiques, Boris est graphiste et webdesigner depuis une quinzaine d’années. Électrisé par l’image et la photo, enflammé par les livres et les expositions, dopé aux workshops et aux événements photographiques en tout genre, il anime également un atelier photo numérique.
Nous avons pu compter sur l’énergie de deux stagiaires en or, Margot Meyer et François Fourré (toujours en charge de l’agenda). Et depuis cet été, Vincent Heyché a rejoint l’équipe. Ancien secrétaire de rédaction chez Le Vif/L’Express, hebdomadaire belge d’actualité, il est également passionné de photo. Il réalise notamment de formidables interviews pour BrowniE.
© David Ameye
« BrowniE », pourquoi ce titre ? Comment est née cette idée ?
Cette idée est apparue après de longues heures de « tempête d’esprits », de recherche, et de listes raturées ! BrowniE est un nom qui faisait sens par rapport à notre projet pour plusieurs raisons.
Produit dès 1900, le Brownie est un des appareils, simples d’utilisation et bon marché – qui a démocratisé la photographie. L’un de nos objectifs, précisément.
Les première et dernière lettres du mot – B et E –renvoyaient par ailleurs directement à « Belgique ».
BrowniE est aussi un prénom mixte venant des États-Unis qui signifie « petit » et « espiègle », deux qualificatifs qu’on peut associer à la Belgique.
Autre clin d’œil, il renvoie aussi à un gâteau populaire, sympathique et savoureux. Et comme nous sommes de vrais gourmands de photo…
Également un point important : ce nom se comprend et se retient dans toutes les langues nationales belges. Car nous espérons pouvoir un jour faire de BrowniE un site trilingue.
Comment définirais-tu la scène photo belge ?
C’est amusant de remarquer que la Belgique et la photographie sont nées pratiquement en même temps ! J’aime penser qu’elles ont beaucoup à dire l’une de l’autre…
Le dynamisme de la photographie en Belgique est incroyable, à des niveaux différents ! Il existe des dizaines de photoclubs à travers notre pays et des centaines de jeunes étudient la photographie chaque année. Certains vernissages ont des allures de concert de rock (l’ouverture de l’exposition de Stephan Vanfleteren au Musée de la photo d’Anvers était dingue), d’autres voient émerger de jeunes talents dans des galeries associatives. La photo est en ville – qu’elles soient petites ou grandes – mais aussi ailleurs : la Biennale de photographie en Condroz attire par exemple des milliers de visiteurs sur des routes de campagne. Des institutions prestigieuses participent à la conservation de notre riche patrimoine photographique. Des collectifs comme Aspëkt font des rues de Namur une galerie à ciel ouvert en collant leurs images sur les murs…
Alors cette scène photo belge en quelques mots ? Foisonnante. Parfois résistante, comme en ce moment. Contrastée. Avec parfois une pointe d’accent. Et vivante. Tellement vivante !
Par ailleurs, chez BrowniE, nous considérons qu’aujourd’hui, tout le monde est concerné par l’image. Nous en consommons (même si je n’aime pas le terme) plus ou moins consciemment et nous en produisons aussi (que ce soit avec un smartphone, un reflex semi-professionnel, ou un Polaroid). C’est aussi pour cela que notre site se rêve être pointu dans ses attentions, mais accessible dans ses publications.
© Jean-Francois Flamey
Quelle est la ligne éditoriale du site ?
Notre volonté est de nous concentrer sur la photographie « de » et « en » Belgique. Un angle précis, donc… mais avec une grande amplitude, la matière étant vivante et les artistes par définition en mouvement.
Il est ainsi question de photographie belge, mais aussi de Belgique photographiée. Des travaux que des photographes belges développent à l’autre bout du monde, d’images que des artistes étrangers présentent chez nous…
Le propos n’est pas tant de revendiquer une « belgitude », ni de dessiner des cases, et surtout pas de prétendre à « une » définition d’« une » photographie belge ! Il s’agit de donner le pouls d’une créativité incroyable, de porter un regard attentif sur la scène photo belge. Car dans ce domaine comme dans d’autres, notre petit pays est parfois un peu trop timide lorsqu’il s’agit de valoriser ses talents.
L’angle est donc celui d’une information positive, dans une démarche de promotion des artistes, des œuvres et des projets photo liés à notre territoire. Nous sommes totalement indépendants, et avons la chance de pouvoir choisir de qui et de quoi nous parlons. Nous présentons des projets, des photographes, des livres… que nous aimons. C’est beaucoup de travail (notre équipe est à ce jour bénévole), mais surtout beaucoup de plaisir !
Plus concrètement, BrowniE souhaite rassembler un maximum d’informations pour et sur celles et ceux qui, en Belgique, font et aiment la photographie. Un site unique pour découvrir des actualités, des portraits de photographes, un carnet d’adresses, des appels à projets, un agenda des expositions… Nous veillons à le rendre le plus complet, le plus dynamique et le plus accessible possible.
© Coralie Vankerkhoven
Comment est née cette initiative spéciale confinement « Chronique d’un printemps » ? La ligne éditoriale s’est-elle élargie en ce contexte particulier ?
L’idée de cette « Chronique d’un printemps » est en fait née dès les premières heures du confinement en Belgique… Une sorte de « sursaut »… Une proposition, lancée sans recul, mais avec une immense envie de rester en lien avec et par la photo, de documenter ensemble ce quotidien confiné.
Concrètement, nous partageons une photo par jour, prise par un.e photographe, à partir du 1er mars 2020.
L’appel a été rapidement lancé sur le site, sur nos réseaux sociaux, et via nos contacts mails. En moins d’une heure nous avions un premier retour : la très belle photo de Thomas Freteur, photographe belge à ce moment-là en Tanzanie, qui a ouvert la chronique.
L’invitation est comme toujours chez BrowniE adressée aux photographes « de » et « en » Belgique, mais nous avons reçu une participation de la photographe Franco-Québécoise Sarah Seené, belge un peu par le coeur… Il nous semble important de garder une ligne éditoriale claire, mais il s’agit avant tout ici d’échange, de témoignage sur ce printemps qui ne ressemble à aucun autre… nous ne nous interdirons pas de partager des images qui résonnent.
Nous avons depuis déjà reçu près de 300 images… nous sommes d’ailleurs un peu en retard dans le traitement de tous ces mails, mais nous répondrons à tout le monde. Et surtout, des images, nous en voulons encore ! Libre d’ailleurs à chacun.e de nous envoyer plusieurs photos tout au long du confinement : nous ne partagerons qu’une photo par artiste, mais nous conservons cette formidable matière pour en faire quelque chose, un jour, plus tard… Quoi ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais nous sommes convaincus que ce qui se construit ici fait et fera sens.
Est-ce que cette crise inédite est en train de redessiner le rôle des photographes selon toi ?
Elle va infléchir chaque trajectoire personnelle, plus ou moins dramatiquement, et plus ou moins heureusement. Chacun.e va être amené.e à se redécouvrir, se redéfinir après avoir traversé cette crise. En tant qu’individu, que conjoint.e, travailleuse ou travailleur, parent, consommateur ou consommatrice… et en tant que photographe aussi.
Dans les messages qui accompagnent les photos que nous recevons pour notre « Chronique d’un printemps », nous lisons souvent que la pratique de la photo est une évidence, une résistance comme je le disais, un moyen de composer avec ou malgré tout cela… Et on le voit : le milieu artistique réinvente chaque jour les formes de l’expression et du lien.
J’avoue que je me pose effectivement plus de questions sur l’après tout ceci, dans plusieurs semaines, mois, années… Je ne me sens pas légitime pour émettre une analyse ou des « prévisions » des répercutions que cette crise va avoir sur le monde ou les professionnel.le.s de la photo. Mais je me répète que la photographie est une écriture avec la lumière… et cela, ça autorise tous les espoirs du monde.
© Francois-Xavier Marciat
© à g. Thomas Freteur et à d. Nathalie Hannecart
Image d’ouverture © Coralie Vankerkhoven