Dr Paul Wolff au Pavillon Populaire : quand la technique fait la photographie

19 janvier 2024   •  
Écrit par Milena III
Dr Paul Wolff au Pavillon Populaire : quand la technique fait la photographie
© Paul Wolff, « Opelbad » [piscine Opel], Wiesbaden, 1934, tirage d'origine, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire
© Paul Wolff, « Femme en maillot de bain avec ombres de plantes », 1932, tirage d’origine, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire

Jusqu’au 14 avril prochain se tient au Pavillon Populaire – espace d’art photographique de Montpellier – une rétrospective consacrée à Paul Wolff, intitulée L’Homme au Leica. Elle offre l’occasion de porter un questionnement historique, sociologique et idéologique essentiel, notamment en terme d’ambiguïté dans le 8e art : quel héritage nous reste-t-il de la photographie allemande de l’entre-deux-guerres ? Et comment l’aborder ?

Vous ne le connaissiez peut-être pas, et si tel est le cas, vous n’êtes pas à blâmer puisqu’il est un grand absent de l’histoire de la photographie telle qu’elle est contée en France. Le Dr Paul Wolff (1887-1951) est un photographe allemand qui a ouvert la voie au Leica, permettant une véritable dynamisation du regard dans la pratique du 8e art. Membre de l’agence qu’il avait cofondée avec Alfred Tritschler, cet amateur passionné était probablement le plus célèbre et le plus publié de son époque. Son œuvre, dont plus de 140 images sont exposées au Pavillon Populaire, est cependant à aborder prudemment, et nécessite une réelle remise en contexte. Dans son texte d’introduction, Gilles Mora, commissaire de l’exposition, écrit : « Les thèmes explorés par Paul Wolff sont en résonance avec ceux favorisés par l’idéologie nazie, même si – et c’est un paradoxe souligné par les historiens – il existe une continuité entre les acquis modernistes nés sous la République de Weimar, et certaines traditions culturelles prônées par les courants nationaux-socialistes. » D’une certaine manière, Paul Wolff a participé à une forme de contribution passive au régime, puisque ses images, diffusées en masse, glorifient les obsessions propres au IIIe Reich : le travail, la technologie, le corps athlétique, les loisirs…

Elle pose donc un certain nombre de questions : Paul Wolff était-il un propagandiste malgré lui ? À quel point sommes-nous nous-mêmes empreints des idéologies qui marquent notre époque ? En tant que photographe, peut-on simplement constater ? Il semblerait que l’on ne puisse aborder ce photographe allemand que comme un personnage complexe et ambigu. Il convient de rappeler que la photographie, sous le régime nazi, était très contrôlée : « Lorsque l’on achetait un appareil photo, ou que l’on souhaitait pratiquer la moindre activité culturelle, il fallait s’inscrire, sinon le régime vous tombait dessus », déclare Gilles Mora. Pour ce spécialiste de la photographie moderniste et directeur des Rencontres d’Arles de 1999 à 2001, Paul Wolff avait pourtant une grande liberté, que lui autorisait la prospérité de son agence. Un artiste n’est évidemment jamais simple témoin et observateur de son époque, et dans le cas de Paul Wolff, cela ne va assurément pas dans un sens contestataire ou contre-culturel : il se contente de suivre la mouvance, que ce soit celle de l’idéologie nazie ou celle des tendances novatrices de la photographie moderne. 

© Paul Wolff, « Place nocturne avec publicité lumineuse de la Dresdner Bank », 1933, tirage d’origine, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire

© Paul Wolff, « Entraînement sur le grand tremplin “Olympia”. Saut à skis lors des Jeux olympiques d’hiver à Garmisch-Partenkirchen », 1936, tirage d’origine, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire

© Paul Wolff, « Atterrissage du dirigeable ”Graf Zeppelin”, aéroport de Francfort », vers 1936, Tirage moderne, Collection Christian Skrein Photography / Courtesy of Pavillon Populaire
Éditions Hazan
Catalogue d’exposition
144 pages
24,95 €

Paul Wolff, à l’avant-poste d’une révolution

Dès lors, que peut-on retenir du Dr Paul Wolff et pourquoi son œuvre demeure-t-elle marquante dans l’histoire de la photographie ? Quel a été son rôle à son époque ? On retient sa figure avant tout comme celle d’un grand précurseur du petit format photographique, et comme un « passeur » des formes de la modernité photographique, de la Nouvelle Objectivité à la Nouvelle Vision. Désireux de montrer que chacun·e peut arriver à des résultats photographiques excellents dès lors qu’iel maîtrise la technique, « il encourageait par sa pratique l’amateurice à se lancer ellui-même », explique le commissaire d’exposition. C’est l’invention du Leica, en 1925, qui marque une véritable révolution dans le 8e art, grâce à son format 35 millimètres et sa légèreté : elle signe la fin de la photographie lourde et le début d’un art rapide et vivant. La grande contribution de Paul Wolff est alors de populariser une esthétique nouvelle, qui consiste à aller partout, et à photographier sous des points de vue nouveaux. Il s’illustrera particulièrement dans la prise de vue nocturne, et l’on garde de lui des images fascinantes du vieux Francfort – qui témoignent alors des transformations architecturales radicales de la ville.

« Le Leica offrit par exemple la possibilité de penser en séries, d’essayer des perspectives inattendues, d’expérimenter, en somme, tandis que la pellicule de cinéma, comparativement bon marché, invitait à l’exploration de certains thèmes relativement communs », écrit Hans-Michael Koetzle dans sa contribution au catalogue de l’exposition, à paraître le 24 janvier prochain aux éditions Hazan. La grande technologie porteuse d’espoirs de l’époque est donc à l’origine d’une véritable révolution du regard vers plus de dynamisme. L’esthétique des clichés de Paul Wolff s’inscrit dans un mouvement qui en découle : celui de la Nouvelle Photographie. Il consiste à débarrasser le médium de toute manipulation, mais de le focaliser sur la précision – netteté, clarté. Il s’agit également de développer des formes d’expérimentations visuelles variées, du collage aux prises de vue sous des angles inhabituels – plongées, contre-plongées, jeux d’ombres. Les prises de vue rapprochées sont également en vogue à cette époque, en particulier lorsqu’il est question de thèmes botaniques et zoologiques, et ceux de Paul Wolff sont très réussis.

Paul Wolff emploie donc le vocabulaire moderniste de son époque. Il s’agit cependant de se demander si derrière une telle volonté de réalisme – et d’objectivité sous-jacente – , il n’y a pas, ce faisant, une manière de cacher la vérité historique ? Car en refusant de photographier la violence, il falsifie son époque, qui est celle de l’apogée de la barbarie en Europe au XXe siècle. « L’image que nous renvoie l’univers de Wolff sous le IIIe Reich relève de l’euphorie sociale idyllique, d’un bien-être trompeur auquel il convie l’amateur à se référer dans une pratique identique à la sienne, destinée à exempter de tout conflit, de toute violence et de toute contrainte le monde que met en place le nazisme », résume Gilles Mora. Le Pavillon Populaire de Montpellier offre donc à voir, jusqu’au 14 avril, une histoire qui est tout autant celle d’un homme de son époque que la nôtre, et qui plutôt que d’être effacée, devrait pouvoir interroger et réinterroger notre présent.

© Paul Wolff, « Ile de Wangerooge », 1935, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire
© Paul Wolff, « Alfred Tritschler et Bertha Beiger, Francfort », vers 1931, tirage moderne, Collection Christian Skrein Photography / Courtesy of Pavillon Populaire

© Paul Wolff, « Le Premier Bain en extérieur !, Wiesbaden », mai 1934, Tirage moderne, Collection Christian Skrein Photography / Courtesy of Pavillon Populaire
Paul Wolff, « Entrée de la vieille ville de Waterburg », vers 1937, tirage moderne, Collection Christian Skrein Photography / Courtesy of Pavillon Populaire
© Paul Wolff, « Rouleau compresseur », 1932, tirage d’origine, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire
© Paul Wolff, « Pangolin, étude animalière », vers 1929, tirage d’origine, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire
© Paul Wolff, « Opelbad [piscine Opel], Wiesbaden », 1934, tirage d’origine, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire
© Paul Wolff, « Auto-stoppeuses », 1936, tirage d’origine, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire
© Paul Wolff, « Autoroute du Reich Francfort-Darmstadt-Mannheim : métreur établissant le tracé », 1933, tirage d’origine, Collection Christian Brandstätter / Courtesy of Pavillon Populaire

À lire aussi
Stéphane Duroy raconte l'histoire européenne en images
© Stéphane Duroy
Stéphane Duroy raconte l’histoire européenne en images
Jusqu’au 23 février, la Galerie VU’ expose les photographies de Stéphane Duroy, reporter et photographe de guerre qui a raconté l’Europe…
15 janvier 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Un documentaire inédit sur Fred Stein bientôt diffusé au Lavoir Numérique
© Fred Stein Archive
Un documentaire inédit sur Fred Stein bientôt diffusé au Lavoir Numérique
À l’occasion de son cycle documentaire consacré à l’œuvre « photo-biographique », le Lavoir Numérique organise une projection de…
07 décembre 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
L'esthétique des luttes en photographie
L'arrestation du féroce chef mafieux Leoluca Bagarella, Parlerme, 1979. © Letizia Battaglia
L’esthétique des luttes en photographie
La photographie est un acte délibéré. Sa fabrication n’est qu’une suite de choix, d’exclusion et d’inclusion, de cadrage, de point de...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
© Claudia Andujar. De la série A Sõnia, São Paulo, SP, vers 1971. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Instituto Moreira Salles
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
Présentée à la Maison des Peintres dans le cadre des Rencontres d’Arles jusqu’au 5 octobre 2025, À la place des autres revient sur...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III
Nader Bahsoun, au croisement des médiums et des mémoires
© Nader Bahsoun
Nader Bahsoun, au croisement des médiums et des mémoires
Photographe et vidéaste franco-libanais, Nader Bahsoun explore les liens entre mémoire, résistance et transmission dans des territoires...
21 juillet 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Elsa & Johanna présentent Lost and Found à Marseille
© Elsa et Johanna
Elsa & Johanna présentent Lost and Found à Marseille
Jusqu’au 27 juillet 2025, le Centre photographique Marseille accueille Lost and Found, la nouvelle exposition du duo Elsa & Johanna....
16 juillet 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L'esthétique des luttes en photographie
L'arrestation du féroce chef mafieux Leoluca Bagarella, Parlerme, 1979. © Letizia Battaglia
L’esthétique des luttes en photographie
La photographie est un acte délibéré. Sa fabrication n’est qu’une suite de choix, d’exclusion et d’inclusion, de cadrage, de point de...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Os batismos da meia-noite © Joan Alvado
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Le photographe espagnol Joan Alvado compose des essais photographiques où l’étrange, le mythe et la légende s’entremêlent. S’inspirant...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Bleu Comme Une Orange © Lola Cacciarella
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Depuis quatorze ans, les Zooms du Salon de la photo mettent en lumière la création photographique. Cette année, Fisheye soutient le...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
© Claudia Andujar. De la série A Sõnia, São Paulo, SP, vers 1971. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Instituto Moreira Salles
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
Présentée à la Maison des Peintres dans le cadre des Rencontres d’Arles jusqu’au 5 octobre 2025, À la place des autres revient sur...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III