À travers Somewhere Might Be The Place, Edouard Richard narre l’histoire de curieux villages qui fleurissent dans le désert américain, à mi-chemin entre Los Angeles et Las Vegas. Les portraits des habitant·es s’entremêlent aux paysages et interrogent le rapport de l’être humain à son territoire.
Installé à Paris, Edouard Richard s’essaye à la photographie lors des manifestations contre la loi travail en 2016. Le photojournalisme lui permet ainsi d’affirmer sa pratique et son univers. Puis, petit à petit, le photographe français développe des projets au long cours notamment sur les travailleurs du nucléaire à Flamanville et la vie des Cajuns en Louisiane. « J’ai étudié à l’ECTQ, une école de cinéma à Québec. Il y avait une branche spécialisée en documentaire direct, une forme de reportage où on n’intervient pas avec le sujet, un peu comme l’émission Strip-tease», rapporte l’artiste. À l’instar du programme télévisuel belge, Edouard Richard laisse place dans ses images aux paroles, ou plutôt aux regards des protagonistes. « Ma pratique a ainsi évolué en prenant plus le temps, en essayant d’être moins littéral et en m’éloignant du journalisme. Avec une approche documentaire et même parfois fictionnelle, je m’y retrouve davantage. Et, je pense que la lassitude du photojournalisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui m’a permis de trouver d’autres moyens pour m’amuser avec le médium », ajoute-t-il.
Alors qu’il a sillonné les États-Unis à plusieurs reprises, Edouard Richard s’y envole une nouvelle fois à l’été 2022 en compagnie de son frère pour effectuer un road trip. « On a atterri à Los Angeles. Cette ville a de super aspects, mais on a vite été lassés. On s’est donc barrés rapidement dans le désert », se remémore le photographe. Au fil des kilomètres parcourus, les deux frères découvrent des hameaux perdus au milieu des étendues de sable. Sur place, ils partent à la rencontre des villageois·es qui ont, elleux aussi, quitté les grandes villes où iels avaient leurs habitudes pour construire une nouvelle vie, loin du consumérisme omniprésent. « Très rapidement, je voulais savoir comment ces gens qui ont décidé de quitter la ville il y a 20 ou 30 ans pour rejoindre un lieu hostile ont réussi à se recréer un petit bout de paradis ou, du moins, quelque chose qui leur convient », précise le voyageur. C’est ainsi que nait Somewhere Might Be The Place, une histoire visuelle laissant place à des récits hors du commun.
Des rencontres vagabondes
Alors que les paysages affichent des décors silencieux où une certaine sérénité semble régner, chaque portrait dévoile un visage marqué criant les souvenirs d’un temps passé. « Chez ces personnes qui vivent en dehors de la société, il y a quelque chose qui se lit sur le visage », assure Edouard Richard. Les anecdotes contées par le photographe nous emportent dans une errance insoupçonnée. Comme par exemple Kate, cette femme accoudée à une voiture qui habite depuis 2012 à Bombay Beach, une ancienne station balnéaire laissée à l’abandon. « Elle a perdu sa maison suite à de gros incendies en Californie. Elle a rencontré un homme dans un shelter, un abri de la garde nationale. Il y a eu un coup de foudre et iels ont fait leur vie en dehors de la violence que demande la ville. Ici, c’est un village de 300 personnes avec un bar et une supérette où les produits semblent dater du siècle dernier. Il n’y a rien à 70 kilomètres à la ronde », relate le photographe.
Derrière chaque portrait se dissimulent de longs échanges entre les protagonistes et l’artiste, qui explique que les Américain·es ont cette aisance à se livrer. « Contrairement à nous Français·es, iels ont une conscience totale de leur histoire et s’ouvrent très facilement. » En témoigne sa rencontre avec Stany, la strip-teaseuse au milieu des flaques d’eau, qui a quitté Los Angeles pour ouvrir un bar de biker avec ses copines, mais aussi ce monsieur qui lève les bras, croisé au détour d’une station essence. « On a parlé photo et il m’a expliqué qu’il était roadie (machiniste itinérant, ndlr) pour des groupes de rock. À un moment, il s’est stoppé et m’a dit : « j’ai été photographe et je trouve que c’est le métier le plus important. Quand j’ai perdu mon fils à quatre ans, la seule chose qui me restait de lui était des clichés. » Puis il est parti en levant les bras au ciel », se souvient Edouard Richard. Tout au long de ce road trip, la musique l’accompagne et joue un rôle central dans son projet. Townes Van Zandt, Nick Cave, Neil Young ou encore Lilium… Le photographe s’enivre de sons d’artistes qui ont décidé de partager leurs états d’âme, souvent moroses, par le biais de leurs voix et instruments. Dans Somewhere Might Be The Place, Edouard Richard métaphorise l’amertume d’une vie en ville et le calme ambiant qui rythme désormais ces âmes rêveuses en désir d’une existence plus douce.