Au fil de Flou, publié l’été dernier chez Note Note Éditions, se découvrent les expérimentations artistiques de vingt photographes. Si l’imprécision ne s’impose pas nécessairement comme leur approche de prédilection, toutes et tous ont en commun de tirer leurs images au sein du laboratoire éponyme d’Agnès Costa, à l’origine de cette réunion.
Flou fait partie de ces ouvrages nés d’une succession d’évidences. Pour comprendre son histoire, il nous faut revenir sur le parcours d’Agnès Costa, fil conducteur de ce projet. Alors qu’elle étudie le 8e art et se destine de prime abord au métier de photographe, un stage change sa vision des choses. « J’ai découvert un aspect plus technique de l’argentique et ça m’a plu. J’ai travaillé quelques années dans un laboratoire à Londres, puis je suis arrivée à Paris, il y a trois ans, pour me lancer à mon compte et ouvrir Flou », se remémore-t-elle. À l’occasion du premier anniversaire de son entreprise, elle organise un évènement éponyme, dans le souvenir de ceux qu’elle orchestrait parfois outre-Manche. « Souvent, mes photographes qui font des travaux de commande ne s’occupent pas de la sélection finale. C’est pour cela que j’ai voulu monter une exposition où toutes et tous étaient libres de mettre l’image de leur choix », explique-t-elle.
Mathieu Meyer fut l’un des visiteurs de Flou et donnera une tout autre envergure au projet. Co-fondateur de Note Note Éditions, « la spontanéité autour de cet accrochage “de copains et de copines” » lui plut, si bien qu’il voulut retranscrire cette énergie dans un ouvrage. « Il trouvait cela intéressant de capturer un moment, un échantillon de ce qui se fait maintenant. Cela m’a convaincue », appuie Agnès Costa. C’est alors que commence une vaste collaboration à laquelle prennent part Jean-Marie Binet, Jeff Boudreau, Louis Canadas, Thomas Cristiani, Théo de Gueltzl, Vincent Desailly, Estelle Hanania, Larissa Hofmann, Maxime Imbert, Maxime La, Chloé Le Drezen, David Luraschi, Hugo Mapelli, Charles Negre, Marton Perlaki, Noel Quintela, Sam Rock, Jack Symes, Drew Vickers et Myro Wulff. « Même s’il y mon nom sur la couverture, ce n’est pas mon livre. Ce sont les images de vingt photographes que je connaissais, Mathieu s’est occupé de la direction artistique, Dan [Thawley] du texte… C’est comme une chaîne de personnes de spécialités différentes. Tout le monde a mis sa pierre à l’édifice. Finalement, c’est assez représentatif de ma démarche », poursuit-elle.
60 pages
30 €
Une célébration de la pratique argentique
S’il donne à voir comment la scène photographique contemporaine s’empare d’une certaine thématique, Flou s’impose tout autant comme un travail de recherche plastique. À l’instar de ce qu’il définit, le terme renvoie, de fait, à une indétermination que tout un chacun est libre de caractériser à sa manière. « Je savais que les pratiques respectives de ces artistes, si différentes les unes des autres, réunies dans un même contexte, donneraient lieu à de belles “confrontations”, assure Mathieu Meyer. La plus grande difficulté a été de combiner tous ces tirages. Toutes et tous ont joué le jeu en envoyant plusieurs images, que nous avons pu associer avec ce texte qui a servi de liant. Cette disparité de sujets, de traitements crée une unicité. » Au fil des pages se révèlent alors plusieurs procédés, parfois involontaires. Parmi eux se comptent notamment des accidents au développement, des négatifs malmenés ou ayant pris l’eau ou encore des accumulations d’expositions.
Outre les œuvres, la maquette a également été pensée de telle sorte à répondre à la thématique. « Je me suis permis de questionner la nomenclature titre, faux-titre, préface, images, colophon pour recréer la même surprise que lorsque l’on ouvre une boîte de tirages. La reliure reprend d’ailleurs le ruban adhésif sur lequel Agnès écrit le nom des artistes. Tirer le texte en chambre noire lui donne le même statut que les photographies », étaye Mathieu Meyer, pour qui l’engouement renaissant pour cette imprécision traduit « un retour à du vrai, du tangible, comme acheter des vinyles a l’air du streaming ». Par ses motifs abstraits, purement esthétiques, qui font la part belle aux couleurs et à la lumière, le flou se présente ainsi comme une célébration de la pratique argentique. « Maîtrisé, il aide à raconter une histoire, un point de vue au travers d’une image. S’il ne l’est pas, il n’y a ni image ni histoire », achève à juste titre Mathieu Meyer.