Créé il y a un an par les équipes de Fisheye, Focus est un format vidéo innovant qui permet de découvrir une série photo en étant guidé·e par la parole de leur auteurice. Cette narration originale à travers une mosaïque d’images et un habillage sonore nous entraîne dans un parcours immersif aussi sensible que stimulant.
Ulrich Lebeuf
Coup de cœur de Florence Legrand
Témoigner d’événements dramatiques familiaux auxquels il n’a pas assisté, mais qui lui ont été souvent narrés par sa mère lorsqu’il était petit. Illustrer des corps et des visages qu’il n’a pas connu et qui d’ailleurs, n’existent plus. Bref, faire revivre des « fantômes de famille » pour faire parler les vivants. Fruit d’une longue réflexion et d’un processus d’écriture visuelle recherché, le projet du photoreporter Ulrich Lebeuf n’avait rien d’évident. Pourtant, le rendu de Spettri di Famiglia, récit autofictionnel en noir et blanc, est aussi saisissant qu’émouvant. «J’ai été obligé de fabriquer des images qui collent à mes émotions, à mes souvenirs d’enfance», confie l’artiste dans ce Focus #42. C’est avec sa mère, à Naples, «lieu du drame», qu’il «questionne la mémoire de ce territoire où il s’est passé quelque chose de dur». Entre photos rescapées du passé, laissées brutes ou retravaillées, et clichés réalisés en Italie, cette série met aussi en lumière l’une des fonctions phares de la photographie : ouvrir le dialogue et évacuer les non-dits.
Esther Gabrielle Kersley
Coup de cœur de Julia Von Dorpp
Les théories du complot et la 5G sont au cœur de la série The Fifth Generation composée par Esther Gabrielle Kersley, qui a construit son travail en assemblant textes et images issues de différentes sources. Familière de fake news qu’elle contribue à déconstruire dans ses activités professionnelles de factchecking, ses montages associent ses images à celles d’internet, ainsi qu’à des échanges puisés dans les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, YouTube et Twitter. « Le but de mon travail est d’inviter les spectateurs à réfléchir, plutôt que de fournir des réponses, explique l’artiste. J’aime le fait que la photographie laisse place à l’ambiguïté, au doute et à la nuance. Le monde est compliqué. Aucun récit unique ne peut l’expliquer entièrement. »
Camille Gharbi
Coup de cœur d’Éric Karsenty
Sensible aux problématiques sociales et architecte de formation, Camille Gharbi s’est intéressée aux violences au sein du couple et aux féminicides conjugaux. Elle a choisi pour représenter cette question un dispositif minimaliste dont l’impact est d’autant plus fort. Délaissant les images choc qui « anesthésient un peu la pensée », la photographe s’est focalisée sur les armes de crimes et les objets, « leur silence, leur banalité qui peuvent être un moyen détourné d’attirer l’attention sur la banalité de ces crimes ». Aux images à l’esthétique documentaire, elle associe une légende factuelle qui recense le prénom et l’âge de la victime, ainsi que les date et lieu du crime. « La compréhension du sujet se fait dans l’aller-retour entre le texte et l’image, explique l’artiste. Parce que cela oblige la personne qui regarde à faire un effort d’imagination. »
Ward Long
Coup de cœur de Lou Tsatsas
Une maison délabrée remplie d’accessoires et d’outils insolites, d’expérimentations artistiques et de créations éphémères. Cinq colocataires toutes plus passionnantes les unes que les autres. Un soleil californien qui réchauffe les pièces et illumine les peintures sur les murs… C’est une histoire ordinaire que nous conte Ward Long, dans Summer Sublet : celle d’une rencontre avec des étrangères qui nous marque profondément et change le regard que l’on pose sur les autres. D’un été qui se prolonge en écho mélancolique au fil du temps. Doué d’une sensibilité remarquable, la photographe parvient en images comme en mots à convoquer cette douce nostalgie que l’on ne connait que trop bien. Celle que l’on associe à de doux souvenirs qui viennent attendrir un présent plus froid. Une plongée douce-amère dans un récit étrangement familier.