Agathe Veidt saisit la fête et les chants de révolte au cœur d’une boîte de nuit de renom à Shenzhen. De retour en France, elle tricote délicatement ses photographies en un zine autoédité et fait main, Huá biàn : au son de la rébellion, dont le fil rouge nous transporte dans la scène électronique et underground chinoise.
Sous une couverture en vinyle couleur sang, des images monochromes granuleuses se déploient, assemblées par un fin fil rouge. Au gré des pages, les gens dansent, ils nous entraînent jusqu’au bout de la nuit. Ce petit écrin accueille le travail d’Agathe Veidt, photographe française qui, durant un séjour en Chine, a documenté les clubbeur·ses d’une boîte de nuit de renom à Shenzhen : le Oil Club. « J’étais en échange universitaire à Guangzhou, j’étais assez seule. La seconde où j’ai passé la porte d’Oil, je me suis tout de suite sentie à la maison. C’est une vraie chance d’avoir la musique dans nos vies », raconte Agathe Veidt avec émotion. L’artiste se lie rapidement avec l’équipe du club qui l’autorise à capter des images lors des soirées organisées. « J’ai mis du temps à être à l’aise, j’avais peur de déranger les danseur·ses. Quand j’ai vu que les gens m’observaient avec un regard très doux et très aimant, j’ai pris confiance », se souvient-elle. Installée telle une sentinelle dans un coin, derrière un caisson, entre la console des DJs et la foule, la photographe saisit, dans l’obscurité, les corps en mouvement, les détails stylistiques, les visages en transe aux rythmes des basses. « Je passais des heures juste à épier les petites choses, comme une photographe animalière », s’amuse-t-elle.
Tisser la dentelle de la rébellion
Soucieuse du droit à l’image de ses sujets, Agathe Veidt cherche le contact avec les clubbeur·ses, s’intéresse à leur personne et aux raisons pour lesquelles iels s’adonnent avec autant de ferveur à leurs valses au Oil. Des discussions au coin fumeur·ses naît un fil rouge qui vient « tisser les clichés entre eux et révéler le cœur du projet ». Chinois·es, Hongkongais·ses, personnes queers – plutôt éduqué·es – dansent pour s’exprimer. « Je me suis aperçue qu’iels n’étaient pas uniquement là pour faire la fête, mais pour faire acte de résistance », ajoute-t-elle. Messages explicites floqués sur des vêtements, harnais en cuir, collants en résilles, embrassades, la musique est l’hymne chanté à l’unisson d’une opposition affirmée. « J’ai eu un peu l’impression d’avoir en face de moi les soixante-huitard·es de Chine, explique l’autrice. Sur le T-shirt de Yann, responsable du booking des artistes, on peut lire “We can’t speak, we can’t ask, but we dance” (nous ne pouvons pas parler, nous ne pouvons pas demander, mais nous dansons, en français, ndlr). C’est un slogan de résilience de la communauté LGBTQIA+ ici. » Une trame apparaît, les corps se libèrent, quelques bribes de parole s’élèvent également en critique du régime.
Puis, un heureux hasard offre à Agathe Veidt un nom à son projet Huá biàn, au son de la rébellion : une interaction autour de son pseudo Instagram avec une des clubbeuses d’Oil au coin fumeur·ses. « Le compte où je partage mon travail photographique s’appelle jardinhuabian, “hua bian” pour “dentelle” en chinois. Or, en le voyant sur mon écran, elle s’est exclamée “hua bian, comme rébellion ?” La rébellion ! Du pain béni, réagit la photographe. En fonction de l’accent et des caractères, le sens n’est pas le même. J’ai trouvé l’oxymore magnifique. » Sur la couverture, deux idéogrammes, Huá biàn (哗变), ceux du mot « rébellion » appellent à s’emparer de la musique comme cri de révolte, et insufflent un élan de liberté.
Autoédition
Exemplaires limités