Alors que le festival ImageSingulières s’est terminé, il est temps de se pencher sur la Grande Commande, réalisée avec le ministère de la Culture et portée par la BnF. Six photographes racontent la France de la crise sanitaire, mais aussi et surtout la France des inégalités grandissantes. Jusqu’au 6 août Centre photographique documentaire – ImageSingulières.
Le Centre photographique ImageSingulières présente le résultat de sa Grande Commande nationale, passée à plus de 200 photographes. Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire nous rappelle d’autres grandes commandes de l’histoire de la photographie, comme la FSA aux États-Unis après la grande crise de 1929 et le fonds extraordinaire qui en découla (composé des œuvres de Dorothea Lange, Walker Evans et bien d’autres) ou, plus proche, la Datar, qui de 1984 à 1989 a permis de documenter la France (par les travaux de Raymond Depardon, Gabriele Basilico, Robert Doisneau, etc.). C’est dans le cadre du festival ImageSingulières que cette archive a été pensée.
Les propositions retenues ont été celles de Valérie Couteron, Pierre Faure, Stéphanie Lacombe, Richard Pak, Kourtney Roy et Frédéric Stucin. Chacun de ces travaux se penche sur une région particulière et à travers son histoire spécifique, raconte une France différente. Valérie Couteron documente le monde de l’aide à domicile en zone rurale ; Pierre Faure livre un témoignage sur les conditions de vie de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans la région Nouvelle-Aquitaine ; Stéphanie Lacombe a réalisé un récit photographique dans la Somme sur les stratégies des plus précaires pour arriver à la fin du mois en temps de pandémie. Richard Pak, qui signe l’affiche du festival, s’est rendu en Polynésie, où les peuples Mahu et RaeRae transgressent la frontière du genre depuis des siècles et fournit un récit sensible sur la transidentité. Kourtney Roy, avec son ironie habituelle, immortalise les touristes sur les ferries et Frédéric Stucin raconte les bals, foires, carnavals, ferias, ducasses et autres festivités locales suspendues pendant la pandémie. De cette commande, émerge une archive photographique aux langages différents et foisonnants. Chacun incarne son sujet de documentaire en dressant le portrait d’une époque bien étrange.
Entre inquiétudes et résilience : récit d’une France précarisée et oubliée
L’époque dépeinte par les six photographes de la Grande Commande est complexe, ses facettes sont multiples et laisseront sans doute les sociologues et les historien·nes en panne de définitions. C’est d’abord la France de la grande précarité et des grand·es oublié·es qui ressort de ces documentaires. Une France que la pandémie a encore plus fragilisée, sans que ces cris de souffrance ne soient entendus. Les inégalités géographiques et sociales sont criantes dans la série de Stéphanie Lacombe, qui documente les stratégies de survie des classes populaires fragilisées par la pandémie et rend ainsi justice à celles et ceux pour qui les confinements n’ont pas été un moment d’oisiveté bourgeoise. Une série qui parle de résilience, tout comme celle de Pierre Faure, qui a immortalisé la crise sanitaire depuis la Nouvelle-Aquitaine en s’intéressant à celles et ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Depuis le début de sa carrière de photographe s’intéresse à cette masse de 10 millions de personnes qui, dans toute la France, se doit de faire preuve de résilience… Un mot galvaudé, qu’il serait temps de déconstruire, pour laisser la place à toute la tragédie injuste qu’il semble presque enjoliver. « J’ai constaté que la courbe de la pauvreté en France augmentait d’année en année, expliquait-il à l’occasion du festival ImageSingulières de cette année. Une pauvreté ancienne et à la fois nouvelle. C’est là que j’ai voulu m’intéresser à la condition des classes populaires et moyennes. » La série fait écho à son premier travail, Les Gisants, dans lequel il posait sa caméra sur les exclu·es de notre société. Pour compléter ce triptyque précieux, qui éveille quant à l’urgence sociale en France, Valérie Couteron rend hommage aux aides soignant·es à domicile en zone rurale. Entre déserts médicaux et classisme, la photographe relève l’injustice médicale française qui divise les zones urbaines des zones rurales. Parce que parler d’inégalités en France signifie porter son attention à un territoire qui n’a pas fini d’en découdre avec ses contradictions et son absurde centralisation des richesses et des ressources.
Ces photographies ont été produites dans le cadre de la grande commande nationale Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire financée par le Ministère de la culture et pilotée par la BnF.