La part des choses : Harry Gruyaert rêve d’un monde en couleurs

25 août 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La part des choses : Harry Gruyaert rêve d'un monde en couleurs
Harry Gruyaert, Belgique, Bruxelles, 1981, 24 x 36 cm © Harry Gruyaert / Magnum Photos
Harry Gruyaert, URSS, Moscou, 1989, 32 x 47,5 cm © Harry Gruyaert / Magnum Photos
Harry Gruyaert, Belgique, Anvers, 1988, 35 x 24 cm © Harry Gruyaert / Magnum Photos

Jusqu’au 24 septembre, le BAL accueille La part des choses, exposition dédiée à Harry Gruyaert. Une déambulation dans l’univers vibrant d’un photographe dont l’amour pour la couleur parvient à transformer l’ordinaire en art.

Des États-Unis au Maroc, en passant par l’Irlande, l‘Inde, l’Égypte ou même sa Belgique natale, Harry Gruyaert rapporte du monde entier des compositions d’une justesse frappante. C’est durant des études de cinéma que le photographe, né en 1941 à Anvers, aiguise son œil et perfectionne l’art de figer l’instant. Dans les années 1960, son lien avec de grandes figures du pop art – comme Roy Lichtenstein et Robert Rauschenberg – nourrit son amour des coloris, et son travail des nuances. Expérimentant avec la photographie couleur, alors réservée à l’illustration ou la publicité et dénigrée par les grands artistes, il s’impose comme l’un·e des premier·es auteurices européen·nes à expérimenter avec la créativité qu’elle lui permet, s’affranchissant ainsi d’une esthétique monochrome plus en vogue. À l’instar de Joel Meyerowitz, William Eggleston ou encore Stephen Shore, il développe alors une écriture aux tonalités vibrantes, sublimant l’ordinaire au moyen d’associations, d’éclats, de résonances colorisées. Une écriture l’aidant à illustrer sa perception du monde, les émotions que celui-ci lui fait ressentir. Comme un voile poétique se posant sur notre regard pour mieux nous guider vers le sensible.

L’inattendu qui coupe le souffle

« Je me jette dans les choses pour éprouver ce mystère, cette alchimie : les choses m’attirent et j’attire les choses », explique Harry Gruyaert à propos de ses sources d’inspiration. Réunissant 80 tirages d’époque, réalisés entre 1974 et 1996, l’exposition La part des choses (re)donne vie à cette formidable intuitivité au travers du procédé Cibachrome (un procédé inventé par le chimiste hongrois Bela Gaspar en 1933, qui se distingue par la netteté de l’image, l’intensité des couleurs et la saturation des aplats, ndlr). Sur les cimaises, les pigments colorés des tirages semblent presque respirer, projetant des scènes tirées du passé avec une contemporanéité chatoyante. Un dégradé captivant renforcé par les murs colorés, répondant aux détails des clichés.
Et, dans l’espace du BAL, les voyages se superposent, les instants de vie, de grâce improvisés se rencontrent pour nous happer dans un périple hors du temps. Les murs azur d’une salle de bain, les fleurs bariolées d’une robe d’été, le velours rouge des lourds rideaux d’un train lancé à pleine vitesse… Les couleurs deviennent des catapultes projetant sur notre iris des fragments d’histoire qu’on se plaît à dévorer. Des récits improvisés dont la part d’inconnu fait le charme. « Je me dis parfois qu’il serait tellement plus simple de mettre en scène mes images, de repeindre tel mur comme Antonioni ou de demander à tel personnage de s’habiller autrement. Mais je crois que j’y perdrais ce miracle instantané de l’inattendu qui coupe le souffle, de ce phénomène très physique de la photo qui soudain s’inscrit », confie le photographe. En se plongeant dans ses créations, il nous semble alors toucher à une connexion singulière. Comme si l’on saisissait l’essence d’un moment tout en le laissant glisser. Pareilles à de l’eau glissant le long des doigts, les images de Harry Gruyaert se lisent comme des bribes de pensées qu’il nous faut sans cesse réécouter pour apprivoiser. Comme des œuvres d’art dont les tons contrastés, les cadrages sensibles et le chaos contrôlé nous touchent en plein cœur.

Harry Gruyaert, Inde, Thiruvananthapuram, Congrès national du parti communiste, 1989, 33 x 49 cm © Harry Gruyaert / Magnum Photos
Harry Gruyaert, Belgique, Boom, 1988, 24 x 36 cm © Harry Gruyaert / Magnum Photos
Harry Gruyaert, Belgique, Bruxelles, Gare de Bruxelles – Midi, 1981, 32 x 47,5 cm © Harry Gruyaert / Magnum Photos

À lire aussi
Les yeux vers l’horizon
Les yeux vers l’horizon
Les éditions Textuel publient, le 26 septembre, une nouvelle édition du livre Rivages de Harry Gruyaert. L’occasion de se (re)plonger…
13 septembre 2018   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Décollage imminent
Décollage imminent
Les espaces d’attente ou les tarmac constituent de précieux lieux graphiques. En témoigne l’ouvrage Last Call signé Harry Gruyaert. Une…
17 décembre 2019   •  
Écrit par Anaïs Viand
Harry Gruyaert, Belgique, Anvers, 1988, 31,5 x 47,5 cm © Harry Gruyaert / Magnum Photos
Explorez
La sélection Instagram #519 : évasion infinie
© Giorgia Pastorelli / Instagram
La sélection Instagram #519 : évasion infinie
Liberté. Ce mot résonne avec le clairon de l’été. Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine célèbrent la douceur et le...
12 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
15 expositions photographiques à découvrir en août 2025
Jill, President Street, Brooklyn, New York, 1968 © Donna Gottschalk, Courtesy de l’artiste et de Marcelle Alix, Paris.
15 expositions photographiques à découvrir en août 2025
L’été est installé, et les vacances enfin arrivées. En parallèle des Rencontres d'Arles et pour occuper les journées chaleureuses ou les...
01 août 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les images de la semaine du 21 juillet 2025 : l’été des voyages et de la culture
© Clara Chichin et Sabatina Leccia / Lucie Pastureau
Les images de la semaine du 21 juillet 2025 : l’été des voyages et de la culture
Cette semaine, dans les pages de Fisheye, expositions et conseils de lectures estivales s’épanouissent. Car, qui dit vacances dit temps...
27 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les Amériques décadrées d'Arthur Vaillant
(Les) Amériques © Arthur Vaillant
Les Amériques décadrées d'Arthur Vaillant
Arthur Vaillant signe son premier livre photo en autoédition. (Les) Amériques dresse un portrait décalé, décadré et audacieux du...
25 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Nick Knight, Transsibérien et beauté : dans la photothèque de Luke Evans
© Luke Evans
Nick Knight, Transsibérien et beauté : dans la photothèque de Luke Evans
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les fragments heureux de Vanessa Stevens
© Vanessa Stevens
Les fragments heureux de Vanessa Stevens
Grâce à ses collages, Vanessa Stevens s’affranchit des récits pour explorer les formes et les matières. Une pratique contemplative qui...
22 août 2025   •  
Écrit par Milena III
Marcin Kruk :(Des)armées
No Tears Left to Cry © Marcin Kruk
Marcin Kruk :(Des)armées
Marcin Kruk documente, à l'aide de son flash, les territoires marqués par l'absence ainsi que la vie dans les ruines des villes...
21 août 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Ne manquez pas les appels à candidatures et concours du moment
© Flore Prebay
Ne manquez pas les appels à candidatures et concours du moment
L'été et la rentrée scolaire sont marqués par quelques appels à candidatures et concours photographiques singuliers. Ils encouragent la...
20 août 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine