Jusqu’au 24 septembre, le BAL accueille La part des choses, exposition dédiée à Harry Gruyaert. Une déambulation dans l’univers vibrant d’un photographe dont l’amour pour la couleur parvient à transformer l’ordinaire en art.
Des États-Unis au Maroc, en passant par l’Irlande, l‘Inde, l’Égypte ou même sa Belgique natale, Harry Gruyaert rapporte du monde entier des compositions d’une justesse frappante. C’est durant des études de cinéma que le photographe, né en 1941 à Anvers, aiguise son œil et perfectionne l’art de figer l’instant. Dans les années 1960, son lien avec de grandes figures du pop art – comme Roy Lichtenstein et Robert Rauschenberg – nourrit son amour des coloris, et son travail des nuances. Expérimentant avec la photographie couleur, alors réservée à l’illustration ou la publicité et dénigrée par les grands artistes, il s’impose comme l’un·e des premier·es auteurices européen·nes à expérimenter avec la créativité qu’elle lui permet, s’affranchissant ainsi d’une esthétique monochrome plus en vogue. À l’instar de Joel Meyerowitz, William Eggleston ou encore Stephen Shore, il développe alors une écriture aux tonalités vibrantes, sublimant l’ordinaire au moyen d’associations, d’éclats, de résonances colorisées. Une écriture l’aidant à illustrer sa perception du monde, les émotions que celui-ci lui fait ressentir. Comme un voile poétique se posant sur notre regard pour mieux nous guider vers le sensible.
L’inattendu qui coupe le souffle
« Je me jette dans les choses pour éprouver ce mystère, cette alchimie : les choses m’attirent et j’attire les choses », explique Harry Gruyaert à propos de ses sources d’inspiration. Réunissant 80 tirages d’époque, réalisés entre 1974 et 1996, l’exposition La part des choses (re)donne vie à cette formidable intuitivité au travers du procédé Cibachrome (un procédé inventé par le chimiste hongrois Bela Gaspar en 1933, qui se distingue par la netteté de l’image, l’intensité des couleurs et la saturation des aplats, ndlr). Sur les cimaises, les pigments colorés des tirages semblent presque respirer, projetant des scènes tirées du passé avec une contemporanéité chatoyante. Un dégradé captivant renforcé par les murs colorés, répondant aux détails des clichés.
Et, dans l’espace du BAL, les voyages se superposent, les instants de vie, de grâce improvisés se rencontrent pour nous happer dans un périple hors du temps. Les murs azur d’une salle de bain, les fleurs bariolées d’une robe d’été, le velours rouge des lourds rideaux d’un train lancé à pleine vitesse… Les couleurs deviennent des catapultes projetant sur notre iris des fragments d’histoire qu’on se plaît à dévorer. Des récits improvisés dont la part d’inconnu fait le charme. « Je me dis parfois qu’il serait tellement plus simple de mettre en scène mes images, de repeindre tel mur comme Antonioni ou de demander à tel personnage de s’habiller autrement. Mais je crois que j’y perdrais ce miracle instantané de l’inattendu qui coupe le souffle, de ce phénomène très physique de la photo qui soudain s’inscrit », confie le photographe. En se plongeant dans ses créations, il nous semble alors toucher à une connexion singulière. Comme si l’on saisissait l’essence d’un moment tout en le laissant glisser. Pareilles à de l’eau glissant le long des doigts, les images de Harry Gruyaert se lisent comme des bribes de pensées qu’il nous faut sans cesse réécouter pour apprivoiser. Comme des œuvres d’art dont les tons contrastés, les cadrages sensibles et le chaos contrôlé nous touchent en plein cœur.